Je suis venu assez naturellement à la médiation quand j’ai pu mesurer l’impact dévastateur qu’avait tout conflit sur les dirigeants que je conseillais. Les tensions et litiges sont le lot quotidien des cadres d’entreprise… qui souvent ont tendance à vouloir se débrouiller seuls pour les gérer. Est-ce la bonne attitude ? Est-ce efficace ?
Dominique Morel, conseiller en entreprise et trésorier de la Licra
Qu’est-ce qui inciterait un dirigeant à faire appel à la médiation ? La médiation ne peut pas faire de promesse face à la violence et au conflit. Par contre elle porte une proposition de valeur considérable. Tout dirigeant doit se poser au moins quatre questions :
– Quel statut donnons-nous à l’erreur dans nos organisations ?
– Comment assure-t-on la définition de « la règle organisationnelle », sa transmission et la pédagogie de son respect, son application et de l’attitude à avoir lors de sa transgression ?
– Comment gère-t-on l’agressivité dans nos organisations ?
– Qu’est ce qui alimente l’énergie de la relation et comment se développent les espaces conflictuels dans les organisations ?
Les réponses à ces interrogations se trouvent dans l’esprit de la médiation qui doit tous nous habiter.
Instaurer un espace de communication
À médiation je préfère le terme qui nous vient du Canada, de « prévention et règlement des différends » (PRD) avec ses objectifs, processus, son état d’esprit, et ses techniques. On rentre assez facilement et rapidement dans le conflit. Même quand celui-ci ne nous appartient pas, on est souvent saisi par l’envie d’en découdre. Que se passe-t-il dans un conflit ? Nous n’avons pas tous le même rapport au conflit, la même attitude dans le rapport de force, la même vision d’un problème et puisque nous sommes dans l’environnement de l’entreprise, la même notion du sens que nous donnons à l’argent ou à sa contrepartie. Comment survient le conflit ? De manière universelle pour des questions de pouvoirs et de communication. Quand l’équilibre des pouvoirs accepté est modifié, il y a naissance d’un conflit. Quand les modes de communication en usage sont altérés, il y a conflit. Le médiateur, pour réguler le conflit, aura pour rôle d’instaurer un espace de communication convenable et de faire en sorte que les pouvoirs se rééquilibrent. Il lui faudra identifier ces fameux pouvoirs résultant des profils psychologiques (voir encadré) et instaurer les canaux de communication adaptés. Je considère que la régulation, l’évacuation, la dissolution du conflit c’est la moitié du travail du médiateur. L’autre moitié c’est d’installer la paix. Et autant évacuer le conflit est une tâche relativement simple, autant installer la paix est un processus complexe. Le conflit c’est une histoire de pouvoir. La paix c’est une histoire d’amour. C’est une histoire de blessures qu’il nous faut guérir. Nous sommes tous sensibles et nous souffrons tous de blessures archaïques. Elles se résument par cet acronyme, « TRAHI » (pour trahison, rejet, abandon, humiliation et injustice). Soigner et faire reconnaître ces blessures sont des conditions indispensables pour installer la paix.
Médiation et conscience
Le conflit est nécrosant et délabrant. Il vous incite à consommer une énergie considérable vainement. En médiation on doit prendre une conscience différente de deux facteurs : le temps et l’émotion. Le temps est différent en médiation : dans la vie de tous les jours on est souvent « ailleurs et immédiatement et hier ». En médiation on est « ici, maintenant et demain » alors qu’avec nos portables (nous sommes devenus des nomophobiques) nous sommes ailleurs, hors de l’espace de la médiation. La médiation c’est un moment qui fait le lien entre le temps de l’instant et la physique du mouvement. C’est le moment du choix de l’orientation, bonne ou mauvaise, le choix de l’énergie positive ou négative, le choix de la construction de la paix ou de la destruction découlant du conflit
Dans le conflit, quels conseils donner à un dirigeant ?
La médiation est un métier à part entière, quelle que soit la volonté de chaque manager de vouloir pacifier et trouver une solution aux conflits auxquels son entreprise est confrontée. L’indispensable neutralité, impartialité de ce tiers extérieur au conflit, qui s’interdit de juger et qui crée un cadre et un espace de communication et de régulation, doit inciter tout décideur à se faire assister ou conseiller dans la prévention des différends. En fait, la médiation autorise un dépassement de ce qui « est juste pour moi » en considérant aussi ce qui « peut être juste mais différent pour l’autre », de déplacer l’attente d’une justice (générale et impersonnelle mais fondamentale pour la société et son équilibre) vers la construction d’une juridicité (qui englobe à la fois la loi et le droit, les règles issues de la coutume mais aussi les comportements découlants de notre habitus culturel). Vivre ensemble c’est bien, mais exister et être en harmonie avec l’autre c’est mieux ! Nous devons avoir une nouvelle offre cognitive du monde et ne pas rester veufs ou orphelins de la paix. La médiation est un exercice d’équilibriste à la fois difficile et merveilleux. Difficile, car je me demande parfois, en face de protagonistes prêts à en découdre, si je ne suis pas un ingénieur de l’utopie et en même temps un bricoleur de l’absurde. Merveilleux, car je travaille dans la haute couture des émotions : j’aide les gens à les dévêtir du lourd et sombre manteau du conflit pour les habiller d’une capeline de dentelle de paix dont les jours laissent passer la lumière sur leur existence.
Les profils psychologiques Six grands types de profils psychologiques correspondent à six types de pouvoirs.
1) Le pouvoir « légitime », qui a pris le pouvoir ou à qui on l’a confié. Il mène l’organisation.
2) Le pouvoir « ressource », qui a le pouvoir d’aimer et d’être aimé. Il a la capacité de faire du lien dans l’organisation.
3) Le pouvoir « référence », qui a le pouvoir des valeurs et veut les faire respecter. Il sert de modèle dans l’organisation.
4) Le pouvoir « expertise », qui a le pouvoir que lui donnent techniques, méthodes et processus. Il explique et définit avec clarté le cadre de l’organisation.
5) Le pouvoir « information », qui a le pouvoir de réfléchir autour de l’information qu’il recherche et détient. Il est détenteur de l’information qu’il donnera (ou non) à l’organisation.
6) Le pouvoir « charismatique », qui a le pouvoir d’influence par la séduction. Il est capable d’imaginer des solutions innovantes pour l’organisation.