Des débuts difficiles
Antoine de Saint-Exupéry naît le 29 juin 1900 à Lyon dans une famille issue de la noblesse française. S’il partagea une petite enfance heureuse avec ses quatre frères et sœurs, en 1904, son père mourra terrassé par une hémorragie cérébrale, à seulement 41 ans. Sa mère, Marie de Saint-Exupéry, éduquera donc ses cinq enfants seule, aidée par sa gouvernante autrichienne Paula Hentschel, qui restera auprès d’eux jusqu’à l’âge adulte. Si la mère d’Antoine vivra mal ce veuvage prématuré, son naturel optimiste lui permettra de faire face à ses obligations. Ainsi, d’une sensibilité à fleur de peau, artiste peintre, elle tissera avec Antoine des liens privilégiés, lui offrant une excellente éducation ; chose difficile à l’époque pour une femme seule.
En 1908, il entre en classe de huitième chez les frères des Écoles chrétiennes, à Lyon. À la fin de l’été 1909, Marie de Saint-Exupéry s’installera avec ses enfants au Mans, où Antoine suivra les cours du collège jésuite de Notre-Dame de Sainte-Croix. Élève médiocre, indiscipliné et rêveur, il est déjà attiré par l’ailleurs, le lointain, l’aventure ; cherchant depuis l’enfance à échapper à son milieu aristocratique.
Fasciné par les avions, il se rendra souvent à vélo à l’aérodrome d’Ambérieu-en-Bugey, situé à quelques kilomètres de Saint-Maurice-de-Rémens (lieu où il passera le plus clair de ses grandes vacances), y restant des heures à interroger les techniciens sur le fonctionnement mécanique des appareils. Grâce à un gentillet mensonge, il fera son baptême de l’air sur un Berthaud Wroblewski, aux côtés du pilote Gabriel Salvez. Il écrira ce court poème, témoignant de sa nouvelle passion pour les avions :
“ Les ailes frémissaient sous le souffle du soir
Le moteur de son chant berçait l’âme endormie
Le soleil nous frôlait de sa couleur pâle.”
Alors que la Première Guerre mondiale éclate, Marie de Saint-Exupéry est nommée infirmière-chef de l’hôpital militaire d’Ambérieu-en-Bugey ; elle fera venir ses enfants près d’elle. Ses deux fils intègreront alors, en tant qu’internes, le collège jésuite de Notre-Dame de Mongré, à Villefranche-sur-Saône. Le jeune Antoine trouvera ainsi, enfin, le temps de se consacrer à l’écriture ; avec brio, puisqu’il remportera le prix de narration du lycée. À la rentrée scolaire de 1915, soucieuse de protéger ses enfants et de favoriser leur développement, Marie de Saint-Exupéry (toujours en poste à Ambérieu-en-Bugey), constatant que ceux-ci ne se plaisaient pas chez les jésuites, les inscrira chez les frères marianistes de la Villa Saint-Jean à Fribourg (Suisse). En étroite collaboration avec le collège Stanislas de Paris, ce collège avait développé une méthode d’éducation moderne basée sur la créativité. L’élève Saint-Exupéry sera davantage à l’aise dans les matières scientifiques que littéraires. En 1917, Antoine obtiendra son baccalauréat malgré des résultats scolaires médiocres.
Au cours de l’été, François, le frère cadet d’Antoine, le compagnon de jeux et le confident, qui souffrait de rhumatismes articulaires, mourra d’une péricardite. Attristé par la mort de son frère, le futur écrivain vivra cet évènement comme le passage de sa vie d’adolescent à celle d’adulte. La guerre l’inspirera également ; réalisant quelques caricatures de soldats prussiens, de l’empereur et du Kronprinz, il écrira aussi quelques poèmes :
“Parfois confusément sous un rayon lunaire,
Un soldat se détache incliné sur l’eau claire ;
Il rêve à son amour, il rêve à ses vingt ans !
Printemps de guerre”
En 1919, celui-ci échouera à l’oral du concours de l’École navale et s’inscrira en tant qu’auditeur libre en architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts. En 1920, Marie héritera du château de Saint-Maurice, où elle s’installera malgré des revenus modestes. Elle subviendra aux besoins de ses enfants en vendant les terres attenantes au château. Antoine bénéficie alors de l’hospitalité de sa cousine Yvonne de Lestrange et accepte également plusieurs petits emplois. Si cette période lui inspirera beaucoup de poèmes, sous forme de sonnets et suites de quatrains (Veillée, 1921), elle soulignera également une période de vie difficile ; il se trouve sans projet de vie et sans avenir.
L’envol !
En avril 1921, il débutera son service militaire en tant que mécanicien au 2e régiment d’aviation de Strasbourg, et prendra, dès le mois de juin, des cours de pilotage civil à ses frais. Le 9 juillet, son moniteur le lâchera pour un tour de piste : seul aux commandes de son avion-école, il se présentera trop haut pour l’atterrissage, remettant les gaz trop brusquement, il causera un retour au carburateur ; croyant le moteur en feu, il ne s’affolera pas pour autant, fera un second tour de piste pour enfin atterrir, en beauté. Son moniteur validera sa formation. Ainsi, dorénavant titulaire du brevet de pilote civil, il sera admis à suivre les cours de pilote militaire. Le 2 août 1921, il est affecté au 37e régiment d’aviation au Maroc, à Casablanca, où il obtiendra son brevet de pilote militaire, en décembre. Promu caporal en janvier 1922, il est reçu le 3 avril au concours d’élève officier de réserve (EOR). Le 10 octobre 1922, il est nommé sous-lieutenant ; puis breveté observateur d’aviation, le 4 décembre 1922. Il choisira son affectation au 34e régiment d’aviation, au Bourget. Au printemps 1923, il sera victime de son premier accident d’avion, à la suite d’une erreur d’évaluation (sur un appareil qu’il ne maîtrisait pas), qui augurera une fracture du crâne. Après l’accident, il sera démobilisé.
Commence pour lui une longue période d’ennui. Il se retrouve dans un bureau comme contrôleur de fabrication au Comptoir de Tuilerie, une filiale de la Société générale d’entreprises, puis rompera ses fiançailles avec Louise de Vilmorin ; il en restera attristé toute sa vie durant. En 1924, Saint-Exupéry travaillera dans l’Allier, puis dans la Creuse comme représentant de l’usine suisse Saurer, qui fabrique, entre autres choses, des camions (il n’en vendra qu’un seul en un an et demi). Il se lassera et posera sa démission.
En 1926, il est engagé par Didier Daurat, directeur de l’exploitation des lignes de la future Aéropostale, et rejoint l’aéroport de Toulouse-Montaudran pour effectuer du transport de courrier sur des vols entre Toulouse et Dakar. Il rédige alors une nouvelle, L’évasion de Jacques Bernis, dont sera tiré L’Aviateur (texte publié dans la revue d’Adrienne Monnier, Le Navire d’argent). À Toulouse, il fera la connaissance de Jean Mermoz et de Henri Guillaumet. Fin 1927, il sera nommé chef d’escale à Cap Juby, au Maroc, avec pour mission d’améliorer les relations de la compagnie avec les dissidents maures d’une part et avec les Espagnols d’autre part. Il y découvrira la solitude et la magie brûlante du désert saharien. Deux ans plus tard, il publiera son premier roman, Courrier sud, dans lequel il raconte sa vie et ses émotions de pilote. En septembre 1929, il rejoindra Mermoz et Guillaumet en Amérique du Sud pour contribuer au développement de l’Aéropostale jusqu’en Patagonie. En 1931, il publiera son second roman, Vol de nuit, qui connaîtra un immense succès ; il y évoque dans un style lyrique ses années en Argentine et le développement des lignes vers la Patagonie. Le 22 avril 1931, il se marie à Nice avec Consuelo Suncin Sandoval de Gómez.
Un reporter sans frontière
À partir de 1932, alors que la compagnie ne survit pas à son intégration dans Air France, il subsistera difficilement ; se consacrant à l’écriture et au journalisme. Pour vivre, Saint-Exupéry restera pilote d’essai et pilote de raid, en même temps qu’il réalisera de grands reportages. Ainsi, reporter pour Paris-Soir, il voyagera au Viêt Nam, en 1934, et à Moscou, en 1935.
Le 29 décembre 1935, accompagné de son mécanicien, André Prévot, Saint-Exupéry tentera un raid Paris-Saïgon pour battre le record d’André Japy, qui quelques jours plus tôt avait relié Paris à Saïgon en 3 jours et 15 heures. Le 30, vers 3h du matin, l’avion de Saint-Exupéry, heurtera un plateau rocheux alors que celui-ci aura volontairement diminué son altitude pour tenter de le repérer ; les deux aviateurs en sortiront indemnes, mais perdus dans le désert Libyque, en Égypte, ils connaitront trois jours d’errance, sans eau ni vivres, avant un sauvetage inespéré – un réveillon dont il se souviendra.
En 1936, Saint-Exupéry est envoyé en Espagne pour couvrir la guerre civile ; il y révèlera notamment les exactions commises par des républicains espagnols. Il accumule ainsi de ces voyages une importante somme de souvenirs, d’émotions et d’expériences, qui lui serviront à nourrir sa réflexion sur la condition humaine ; celle-ci aboutira à l’écriture de Terre des hommes, publié en 1939, récompensé par le prix de l’Académie française.
Son dernier raid (New-York – Punta Arenas) se soldera par un violent accident au Guatemala, le 15 février 1938, entraînée par la surcharge de carburant emportée dans l’avion (une incompréhension ayant eu lieu entre l’équipage français, demandant un volume en litres, et les ravitailleurs, l’appliquant en gallons ; soit presque le double du volume demandé).
Un soldat de l’antifascisme
En 1939, il sert comme capitaine dans l’Armée de l’air. Après un passage comme instructeur à Toulouse-Francazal, au Bataillon de l’air 101, il obtiendra sa mutation dans une escadrille de reconnaissance aérienne, le Groupe aérien de reconnaissance 2/33.
Le 23 mai 1940, il survole Arras alors que les chars allemands envahissent la ville ; son avion sera criblé de balles par la DCA allemande mais il réussira à retourner à la base de Nangis, avec son équipage, sain et sauf (cet exploit lui vaudra d’être récompensé de la Croix de guerre avec palme, et cité à l’ordre de l’Armée de l’air) ; cet épisode lui inspirera le titre et la trame de Pilote de guerre.
Après l’armistice de juin 1940, il partira, en novembre, pour New York. Il aura notamment pour objectif de faire entrer l’armée des États-Unis dans le conflit ; considéré par certains comme pétainiste, car non gaulliste, Saint-Exupéry aura du mal à faire entendre sa voix. Factuellement, il souhaite avant tout protéger les Français et, surtout, réconcilier les factions opposées ; lors d’un appel radiophonique, le 29 novembre 1942, depuis New York, soit trois semaines après le débarquement allié en Afrique du Nord, il lance :
« Français, réconcilions-nous pour servir »
Une rumeur veut qu’en janvier 1941, le maréchal Pétain l’eut nommé, sans le prévenir, au Conseil national (l’assemblée consultative de Vichy). Antoine de Saint-Exupéry publiera alors deux communiqués, où il refusera clairement cette appartenance. Cette nomination ne semblerait toutefois n’être qu’une rumeur ; son nom n’apparaît ni dans la liste officielle, publiée par le Journal officiel le 24 janvier, ni dans la liste publiée par la presse.
Alors que le 8 décembre 1941, les États-Unis entrent en guerre contre le japon, poursuivant son objectif de faire entrer les États-Unis dans la guerre qui déchire l’Europe, il publie ainsi, à New York, en février 1942, Pilote de guerre ; où il démontre une France combative et héroïque. Au sommet des ventes, le livre participera activement à la sensibilisation de l’opinion nord-américaine au conflit européen ; mais l’auteur n’en sera pas moins en proie à la dépression.
Son traducteur lui trouvera un hébergement, chez Sylvia Hamilton (une jeune journaliste). C’est au cours de la relation amoureuse qu’il aura nouée avec elle que Saint-Exupéry écrira Le Petit Prince. L’année suivante, il rejoint les troupes françaises combattant au sein de l’armée américaine ; avant de partir, il confiera à la journaliste le manuscrit de son conte philosophique, dont la première édition sera anglaise (il constitue son succès le plus populaire ; vendu depuis à plus de 134 millions d’exemplaires dans le monde, il est le cinquième livres le plus vendus de l’histoire).
À la guerre comme à la guerre
Pour lui, seuls ceux qui participent aux événements peuvent en témoigner. Ainsi, en avril 1943, bien que considéré par les Alliés comme un pilote trop âgé pour un avion de combat, il reprendra du service actif dans l’aviation, en Tunisie, notamment grâce à ses relations et aux pressions du commandement français.
Le 5 mai 1943, Saint-Exupéry se présentera au Palais d’été, à Alger, devant le général René Chambe, son ami, devenu ministre de l’Information du général Giraud. Toujours dans la reconnaissance aérienne, il effectue quelques missions et obtient sa promotion au grade de commandant. Mais plusieurs incidents le placent « en réserve de commandement » dès août 1943, étant donné son âge et son mauvais état de santé général, consécutif à ses accidents aériens ; il revient alors à Alger. Tout en poursuivant ses démarches pour reprendre du service, il continue à travailler sur Citadelle et supporte de plus en plus difficilement son inaction forcée. Au printemps 1944, le général Eaker, commandant en chef des forces aériennes en Méditerranée, l’autorise à rejoindre à nouveau son unité combattante. Il retrouve le groupe 2/33, alors basé à Alghero, en Sardaigne. Il effectue plusieurs vols, émaillés de pannes et d’incidents.
Le 31 juillet 1944 Saint-Exupéry décolle de l’aéroport de Poretta. Il vole aux commandes d’un bimoteur P-38 Lightning, en version reconnaissance aérienne. Quittant le terrain à 8 h 25 du matin pour une mission de cartographie, il met le cap sur la vallée du Rhône, devant ensuite passer par Annecy et faire retour par la Provence. Sa mission consiste en une série de reconnaissances photographiques afin de tracer des cartes précises du pays, fort utiles au tout prochain débarquement en Provence, prévu pour le 15 août. Il est seul à bord, son avion n’est pas armé et emporte du carburant pour six heures de vol. À 8 h 30, il se signale par son dernier écho radar. La mission démarre. Saint-Exupéry ne revient pas ; le temps de carburant étant écoulé, il est porté disparu.
« Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. »
Dernières paroles connues d’Antoine de Saint-Exupéry, avant son dernier envol.
Longtemps perdue, l’épave de l’avion de Saint-Exupéry aura été identifiée en 2003, certifiant de la sorte le lieu de sa mort. Pour autant, en dépit de cette découverte essentielle, les circonstances de la mort ne pourront être éclaircies. L’hypothèse la plus probable est que son avion ait été abattu par un chasseur allemand, mais elle n’est étayée d’aucune preuve tangible. Les multiples hypothèses quant aux circonstances de la mort de l’aviateur, sans cesse évolutives depuis 1944, forment un mystère régulièrement revisité dans la presse et la culture populaire, en particulier à l’occasion de nouvelles découvertes ou de témoignages inédits. Chacune des nouvelles « révélations » relance l’intérêt aussi bien des spécialistes que du grand public, pour le « mystère Saint-Ex ».
En 1948, il est reconnu « mort pour la France ». Le 12 mars 1950, au Journal officiel, le commandant Antoine de Saint-Exupéry est cité à l’ordre de l’armée aérienne à titre posthume, pour avoir « prouvé, en 1940 comme en 1943, sa passion de servir et sa foi en le destin de la patrie », et « trouvé une mort glorieuse, le 31 juillet 1944, au retour d’une mission de reconnaissance lointaine sur son pays occupé par l’ennemi ».
Excellent résumé de la vie et mort de cet extraordinaire français. Au cours de la lecture, je me demandais ce qui le passionnait de plus, si c’était l’aviation ou écrire sur ses survols. Probablement, le courage d’un poète est dans l’authenticité de ce qu’il vit et l¡ècriture n’est que la chance de pouvoir partager ses expériences. Il a montré le coté sensible des guerriers, de ces hommes qui ont l’air d’une pierre mais le coeur d’un enfant. Merci pour partager cette histoire, si bien écrite. Salut, de la part d’une vénézuélienne aimante de votre culture.