Le mot de Mario Stasi, président de la Licra. Publié dans Le DDV • Revue universaliste N°693 – “De l’antisionisme à l’antisémitisme” – Été 2024 (En savoir plus).
Les bourrasques politiques, les manipulations électoralistes, l’hystérisation des débats, l’attitude antirépublicaine de certains partis qui récupèrent l’inquiétude ou la colère pour la transformer en parole haineuse… Tous ces vents tempétueux ne doivent pas nous faire perdre notre boussole, le sens de notre combat quotidien sur la ligne républicaine, que dis-je, la crête républicaine ! Se battre, toujours, pour la liberté, l’égalité et la fraternité.
Notre objet nous l’impose, partout et sans exclusive : il nous faut dénoncer et combattre les propos racistes, antisémites ou discriminatoires, qui se propagent sur les réseaux sociaux. La modération et la régulation de ces espaces numériques, en particulier X, continuent de faire cruellement défaut et de polariser les opinions. Peut-on d’ailleurs, encore parler, d’ « opinion » lorsqu’il y est surtout question de réduire son adversaire à néant ? Car une opinion s’expose, s’argumente, se défend. Elle se discute, s’enrichit dans le débat contradictoire, pour s’infléchir finalement, parce que du choc des idées jaillit la lumière, comme l’écrivait Nicolas Boileau.
Dans une tribune au Monde, parue le 26 février 2023, j’avais alerté sur les risques de « twittérisation » de la parole publique. La situation n’a fait qu’empirer face à ce Moloch numérique qui engloutit les aigreurs, les frustrations, les rancœurs, les crises narcissiques et les ambitions dévorantes, pour les recracher sept jours sur sept, 24 heures sur 24, dans un fracas qui fait perdre toute mesure, toute forme élémentaire de courtoisie et d’empathie, tout sens des priorités.
Certains médias traditionnels se sont mis au diapason de ces non-règles, pour faire entendre des débats où l’on ne cherche plus à débattre mais à abattre l’adversaire politique devenu ennemi, à coups d’anathèmes, d’injures et de rumeurs. Cette violence a pris d’assaut la réalité et l’on a vu, en ce début d’été 2024, des agressions ponctuer une campagne électorale et porter atteinte à l’intégrité morale et physique de certains candidats.
Cette violence, qui s’est installée depuis des années dans nos mœurs politiques, provoque des dégâts terribles et durables. Quand le cadre institutionnel, quand la vie démocratique est empêchée ou parasitée, c’est le cadre démocratique tout entier qui s’affaisse, notre capacité collective à nous projeter dans une même France.
Défaite collective
Depuis le 7-Octobre, le nombre d’agressions antisémites a explosé. Aux alertes lancées par les uns ont répondu la relativisation, la minimisation et les « blagues » des autres, le travail de sape des Insoumis, l’imposture du Rassemblement national s’érigeant en « meilleur bouclier » pour protéger les Français juifs. Le désarroi d’une partie de nos concitoyens juifs, contraints de dissimuler les signes de leur judéité, est une défaite collective. « Quand des femmes et des hommes cachent leur identité, c’est la France qui renonce à sa fraternité », comme nous l’affirmons dans un film réalisé avec l’agence Publicis, pour alerter sur les blessures profondes qu’infligent au corps national, ces actes de haine qui tailladent le pacte républicain.
Le Rassemblement national placé en pole position dans la campagne électorale a signifié la libération brutale des insultes racistes, des graffitis ignobles, des lettres anonymes adressées à des personnalités publiques comme Karim Rissouli ou Mohamed Bouhafsi… Des digues ont lâché, la parole s’est décomplexée un peu plus, installant une atmosphère xénophobe, profondément détestable, avec une même interrogation pour celles et ceux qui en sont les cibles : ai-je encore ma place dans cette France qui se dessine ?
Tenons le cap
Dans ce contexte, la Licra a su rester fidèles à son histoire faite du rejet des extrêmes, de tous les extrêmes, fidèle à ses combats pour la dignité des femmes et des hommes. Alors que les valeurs morales fléchissent dans la sphère politique comme dans le champ associatif, alors que l’universalisme est mis à mal par la défense égoïste des intérêts particuliers, par les idéologies sectaires et un militantisme segmentariste qui choisit ses victimes, notre association a tenu. Elle a tenu car elle est bâtie sur les piliers fondateurs de notre République laïque. « Notre doctrine, c’est la conscience. Notre programme, c’est la justice », affirmait Lazare Rachline, l’un des fondateurs de notre association il y a près de cent ans. De cette ligne exigeante, nous n’avons pas dévié.
De durs combats se profilent. Notre unité autour des valeurs républicaines et démocratiques fait notre force. Dans les temps difficiles qui s’annoncent, nous saurons maintenir notre cap, antiraciste, laïc, universaliste. La Licra ira à la rencontre de ceux qui l’ont perdu comme elle multipliera les partenariats et les projets sur les territoires. Elle travaillera avec tous ceux qui, sur l’arc républicain, entendent défendre, quoi qu’il en coûte, ces valeurs sans lesquelles la France n’est plus la France.
Ensemble, retrouvons notre fraternité !
