Le mot de Mario Stasi, président de la Licra. Publié dans Le DDV • Revue universaliste n°687 « Droit d’asile : principes et urgences » – Été 2022 (En savoir plus).
La guerre en Ukraine menée par le dictateur russe, au-delà des dizaines de milliers de morts et de blessés, a provoqué l’exode de millions de réfugiés à travers l’Europe : plus de 6 millions, et parmi eux 3,6 millions qui sont entrés en Pologne, près d’un million en Roumanie et 700 000 en Hongrie. On dénombre plus de 700 000 réfugiés en Allemagne et plus de 100 000 en France.
Face à ce flot de vies meurtries et brisées, de familles déchirées ou perdues à jamais, les Européens ne sont pas tombés dans le piège tendu par Poutine : celui de déstabiliser l’Union européenne par ces déplacements massifs de population. La réponse fut immédiate et politique par le vote à l’unanimité du Parlement européen, qui permit le déclenchement de la protection temporaire dont bénéficient tous les Ukrainiens venant se réfugier dans l’Union. Accueil illimité, octroi du statut de réfugié pendant un an, renouvelable, droit au séjour dans tous les pays de l’Union, accès au soin, à l’aide alimentaire, à l’éducation, au transport… L’urgence humanitaire a bousculé et mis de côté les règles bureaucratiques et administratives qui font de l’octroi du statut de réfugié un combat si difficile à mener alors que ces hommes et femmes arrivent dans nos pays un genou à terre, ployant sous le poids de l’exil.
Un drame de plus…
Il fallait un drame de plus, mais si proche de nous, pour que nos dirigeants européens choisissent enfin de ne pas appliquer ces règles administratives indignes, inefficaces et injustes que constitue le dispositif de Dublin III. Faudra-t-il un drame de plus pour que soit décidée enfin dans l’Union européenne une politique d’accueil généreuse et responsable, uniforme sur tout le territoire ? Une politique qui tende vers des délais identiques de traitement des dossiers de demande, vers une même exigence de moyens financiers et matériels et de dispositifs pour une meilleure intégration… Il faut en somme une volonté d’États, pour que la situation actuelle ne demeure pas une simple parenthèse.
C’est ainsi qu’est née la Ligue internationale contre l’antisémitisme (Lica), autour de Bernard Lecache, fils d’émigrés juifs venus d’Ukraine, alors province de la Russie tsariste, et de ses compagnons de combat, parmi lesquels Lazare Rachline, né en Russie, dont les parents avaient aussi décidé de fuir les pogromes. Dès ses origines, la Lica a été en première ligne pour défendre le droit d’asile dont elle avait fait une priorité. Et il fallait entendre le président Lecache exhorter les membres de la Société des Nations à prendre le sujet à bras-le-corps et à le considérer à l’échelle de l’Europe, pour éviter que ne s’installe durablement, dans le sillage des réfugiés, le racisme et l’antisémitisme. En septembre 1933, alors que les nazis avaient pris le pouvoir en Allemagne et que le nombre de réfugiés s’accroissait, Bernard Lecache alertait le secrétaire général de la Société des Nations sur la nécessité d’une juste répartition de ces migrants : « Cet afflux considérable de réfugiés provoque dans ces pays un danger de xénophobie qu’il importe d’écarter et nous estimons qu’il est du devoir de la Société des Nations d’assurer une équitable répartition de ces fugitifs[1], entre tous les pays qui en sont membres, de manière à ce que la présence de ces réfugiés ne puisse donner sujet à aucun mécontentement. »
Une volonté politique commune
Déjà à l’aune d’une guerre en Europe, avant qu’elle ne devienne mondiale, s’imposait l’urgence d’une politique européenne commune d’accueil et de répartition des réfugiés afin que leur intégration soit la plus aisée pour ces femmes et ces hommes en souffrance, et pour les populations qui les accueillaient. Un appel presque désespéré à une politique responsable et européenne…
Aujourd’hui, de ce drame en Ukraine doit émerger une volonté politique commune qui doit dépasser ce statut temporaire, d’exception. C’est le rôle de la Licra d’exhorter les responsables de l’Union européenne à transformer ce statut temporaire en politique digne, pérenne et efficace. C’est le rôle et la responsabilité historique de nos dirigeants de faire en sorte que la tragédie actuelle ne laisse pas que des cendres et de la douleur.
Mario Stasi, président de la Licra
[1] Au sens ici de « proscrits ».