Dans un article publié en janvier 1943 dans The Menorah Journal et intitulé « We refugees », Hannah Arendt écrivait : « En premier lieu, nous n’aimons pas être appelés “réfugiés”. Nous-mêmes nous désignons comme des “nouveaux arrivants” ou des “immigrés”. (…) Avant que cette guerre n’éclate (…) nous soutenions être partis de notre plein gré (…) et refusions d’admettre que notre situation eût quoi que ce soit à voir avec les “prétendus problèmes juifs” (…) oui, nous avons quitté notre pays parce qu’un beau jour, y résider ne nous convenait plus ou bien pour des raisons purement économiques. » (Nous autres réfugiés, Éditions Allia, 2019). Ce point de vue surprend le lecteur contemporain, car il prend le contrepied de la tendance actuelle : tout migrant économique tente au contraire de se faire passer pour un réfugié, afin de pouvoir demander à bénéficier du droit d’asile.
Précisions sémantiques
Nombre d’entre nous employons indifféremment les termes de demandeurs d’asile, réfugiés, exilés, migrants (avec les variantes émigrés ou immigrants), parfois dans la même phrase afin d’éviter une répétition. Or ces termes sont loin d’être synonymes ; ils sont en outre instables et porteurs de connotations parfois lourdes de conséquences. Voyons cela. La distinction majeure est bien sûr celle qui doit être faite entre les réfugiés et les migrants. Le réfugié a fui son pays d’origine parce qu’il est « persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » (Définition de la Convention de Genève de 1951) ; sa migration est dite « forcée ». Mais en droit français, le terme a pris un sens beaucoup plus strict : il est réservé à celui dont la demande d’asile a abouti ; dans l’attente, il est simplement un demandeur d’asile et, si sa demande est rejetée, il devient un débouté du droit d’asile.
Distinctions délicates
La définition du migrant est beaucoup plus large : tout réfugié ou demandeur d’asile est un migrant, mais tout migrant n’est pas un réfugié. En termes de droit, le migrant est celui qui se déplace « pour des motifs qui ne sont pas inclus dans la définition légale de ce qu’est un réfugié » ! Sa migration est censée être volontaire : il vient généralement chercher du travail, poursuivre des études ou retrouver le reste de sa famille (regroupement familial). À première vue évidente, cette distinction est en réalité complexe et en perpétuelle évolution. Ainsi le risque de mutilation génitale féminine permet désormais d’obtenir l’asile, mais la notion de réfugié climatique n’est pas encore juridiquement fondée. Et n’y a-t-il pas quelque cynisme à considérer que la migration de celui qui ne parvient pas à nourrir sa famille est volontaire et que sa vie et celle de ses enfants n’est pas menacée ? Enfin, on estimera que le terme le moins stigmatisant et le plus générique est certainement celui d’exilé. Il est d’ailleurs de plus en plus utilisé, précisément pour cette raison. Reste qu’il peut sembler d’un usage délicat, à cause de sa connotation littéraire : l’exilé ne vit-il pas perpétuellement dans la nostalgie de son ancienne patrie, cherchant, comme la négresse de Baudelaire (Charles Baudelaire, « Le cygne », in Les Fleurs du mal), “Les cocotiers absents de la superbe ; Afrique Derrière la muraille immense du brouillard”
L’accueil, une histoire de la Licra
Au-delà de l’empathie, l’accueil des réfugiés fait partie de l’histoire de la Licra. Elle correspond à notre tradition républicaine ; il s’agit d’un devoir et non seulement de bons sentiments. Comment s’engager aux côtés des migrants ? En quoi l’engagement contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie est complémentaire et indispensable pour accueillir les migrants ? Est-ce que favoriser l’engagement pour l’accueil des migrants contribue à lutter contre le racisme et la xénophobie ? C’est pour illustrer ces questions que Vincent Faller, membre de la Licra de Strasbourg, a écrit le poème ci-contre.
Dans cet état fini, où tu n’as plus d’ami
C’est le chaos partout, ta vie n’est pas ici
Émigrer ? Tu aimerais bien franchir les frontières
Mais tout t’est interdit dans cette terre de misère
Prison à ciel ouvert, dictature, tu ne peux rien
Tu désires t’évader, on t’abat comme un chien.
Vincent Faller