ActualitésMémoire & HistoirePierre Truche, un magistrat debout

Pierre Truche, un magistrat debout

Par Stéphane Nivet. Son réquisitoire au procès Barbie est resté gravé dans les mémoires, face à une défense qui jouait les « accusés absents » (André Frossard).

Qui a croisé une fois le regard de Pierre Truche ne l’oublie jamais. Assurément, il était fait d’un bois rare dans lequel on a sculpté les grands magistrats. Le 29 juin 1987, lorsqu’il succède aux parties civiles et qu’il s’apprête à précéder la défense, Pierre Truche, prêt à requérir contre Klaus Barbie, va devenir un autre homme et sa dimension va changer. Sur ses épaules entourées de l’hermine du Parquet général autant que de sa crinière blanche contrastant avec le pourpre cardinalice de sa robe, il porte le Ministère public et l’accusation contre le Boucher de Lyon. Il va être le premier, en France, à requérir à l’égard d’un criminel contre l’Humanité. Pierre Truche n’était pas un homme d’effets. C’était, plutôt, l’homme des faits. Rien que les faits, avec une rigueur morale, un souci soupçonneux de la vérité qui faisait honneur à sa charge. Par le menu, il déplie ses réquisitions avec minutie, comme une paperolle de Proust. Il tempère les ardeurs de certains qui voulaient, parfois de bonne foi, tordre la vérité. Il parle avec simplicité et humilité, dans une langue qui abolit le jargon et est compréhensible de tous :

Je vous livrerai les éléments du dossier. Après moi, il y aura la défense et vous l’écouterez attentivement. Sans elle, il n’y aurait pas de justice et la contester serait revenir au temps où Goering refusait la défense à ceux qu’il considérait comme les ennemis du peuple allemand et parlait de chinoiseries d’avocats.

Il concède : Barbie n’était pas présent lors de la rafle de la rue Sainte Catherine et lors de la rafle d’Izieu, rien n’atteste de sa participation in situ. Pourtant, il assène. L’absence n’est pas l’innocence. Les ordres, écrits, sont là. Les comptes rendus sont têtus. Les témoins sont venus, eux, dire leur part de vérité, à la barre. Il a entendu la colère sourde de Sabine Zlatin, il a vu le regard ferme de Raymond Aubrac, il a ressenti les tremblements déchirants d’Ita-Rosa Halaunbrenner, il a entendu, de la bouche de Serge Klarsfled, la vie des enfants d’izieu, il a ressenti le souffle d’André Frossard exhumant de ses souvenirs la torpeur indicible de la baraque aux juifs de la prison Montluc. Il a vu le négationniste Faurisson venir écumer son antisémitisme sur les marches du Palais, sans vergogne, un non-lieu en sautoir.

Tout dans l’activisme antisémite de Barbie aboutit à sa culpabilité. La conclusion de Pierre Truche, sous forme d’alexandrin, rompt avec le classicisme de l’exercice :

Je vous demande qu’à vie Barbie soit reclus.

Il n’était pas rare de croiser, 20 ans après, Pierre Truche, à la Maison d’Izieu, avec des élèves, pour parler de ces 44 victimes qui avaient leur âge, de ces accompagnateurs valeureux qui, comme Léa Feldblum, les ont accompagnés, au péril de leur vie, aux portes de la mort. Tout Pierre Truche ne se résorbe pas dans ce procès et pourtant, tout de lui était là. Son exercice favori, devant les jeunes venus à Izieu, était simple et puissant. Leur réciter l’article premier de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. ».

Dix ans avant Barbie, Pierre Truche livrait aux jeunes magistrats dont il avait la charge une leçon qui résume l’éthique du personnage, de son sens du devoir, de son désir, ardent, d’être utile au bien public : « Vous allez exercer un métier dangereux, dangereux pour les autres, n’oubliez jamais ça ! ». Président de la CNCDH, puis de la Commission Nationale de la Déontologie de la Sécurité, il a veillé à ne pas mettre d’idéologie ni trop de certitudes dans ses missions. Ses successeurs devraient observer son parcours avec attention et avec humilité.

Pierre Truche habitait dans le quartier de l’université, à Lyon. Souvent, on pouvait voir sa petite silhouette trapue affalée sur une banquette du café des Facultés tôt le matin. Sa présence forte, pétrie d’humanité, réconfortait, à chaque fois, à l’idée que cet homme de bien ait été un jour, le Premier magistrat de France.

Stéphane Nivet

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