Position de la Licra sur le « projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »
La loi immigration dite « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » a été adoptée le 19 décembre 2023 dans la confusion et l’urgence, à l’issue d’un débat parlementaire avorté[1]. Dans ce contexte, la Licra ne peut que déplorer le refus d’une majorité de députés de débattre de ce texte. Ce débat aurait permis aux députés attachés à la République de rappeler notamment que la France est un pays d’immigration, qu’une politique d’immigration ne peut se résumer à ses seuls aspects sécuritaires, qu’elle doit insister sur l’intégration des immigrés plutôt que d’exprimer de la défiance à leur égard, qu’enfin cette politique se doit de respecter l’État de droit et les engagements internationaux de la France.
La nouvelle initiative législative atteste des difficultés à définir dans la durée une politique publique cohérente, permettant de s’adapter à l’évolution des flux et de la société elle-même, conciliant un contrôle efficace et une politique d’intégration ambitieuse. Le texte qui est aujourd’hui devant le Conseil constitutionnel ne répond pas à ces exigences. La Licra entend, à ce sujet, rappeler quelques principes généraux.
1. La Licra rappelle l’idéal de la primauté du débat dans une démocratie, en particulier lorsqu’il est question d’un sujet majeur comme la difficile définition d’une politique migratoire, sans cesse remise sur le métier. La France a en effet voté une loi sur l’immigration tous les deux ans en moyenne depuis 1945[2], avec les mêmes objectifs : contrôler les flux, intégrer les personnes, accélérer les procédures. Un véritable débat citoyen sur ce sujet apparaît d’autant plus nécessaire qu’existent aujourd’hui dans la société du ressentiment et de la défiance à l’égard des institutions et une angoisse diffuse liées à la mondialisation qui nourrit la peur de l’Autre, de l’étranger, de l’immigré et la rhétorique du Rassemblement national.
2. L’immigration a joué, joue et continuera de jouer un rôle essentiel dans l’histoire de la France. Le rappeler, ce n’est pas céder à une vision déterministe qui ferait de l’ouverture des frontières une nécessité ou une fatalité. Ce n’est pas, à l’inverse, promouvoir une thèse décliniste d’après laquelle l’immigration serait la cause de toutes les difficultés traversées par notre pays depuis des décennies, justifiant par là-même la fermeture des frontières. Situer l’enjeu de la loi au-delà de ces deux visions caricaturales est un préalable indispensable. C’est dégagé de ces excès qu’il importe d’aborder ce sujet qui touche au plus près à la vie des Français, à leur histoire, à leur quotidien, à leurs convictions, à leurs aspirations et à leur avenir. Pour ces raisons, les discussions autour d’un tel texte sont propices aux simplifications, aux manipulations et aux fantasmes. En d’autres termes, l’absence d’un véritable débat parlementaire n’est ni à la hauteur d’un sujet qui parle à la fois d’humanité et de nation, ni fidèle à la tradition d’hospitalité de la France et à ses responsabilités en la matière.
3. Le texte soumis au Conseil constitutionnel contient quelques dispositions indispensables, notammentle refus de la rétention des mineurs, que l’Union européenne a, pour sa part, maintenu dans le pacte européen sur la migration et l’asile. De même, la loi comporte un volet sur la régularisation des travailleurs sans-papiers dans certains secteurs économiques, qui constitue, lui aussi, une avancée, dès lors que le salarié peut être à l’initiative de la demande qui est acceptée si elle remplit les critères fixés par la loi : seule cette régularisation est vectrice d’intégration. Enfin, la volonté de tarir l’immigration irrégulière et d’agir contre les marchands de sommeil et le trafic des êtres humains est réaffirmée dans la loi.
4. Une politique d’immigration ne peut toutefois se résumer à ses aspects sécuritaires. La pénalisation du séjour irrégulier constitue ainsi à nos yeux une inquiétante régression. Au contraire, la politique d’immigration doit expressément prendre en compte l’impératif d’intégration des immigrés. La volonté de réguler les flux doit être assortie d’un véritable volet sur l’intégration qui, dans le texte actuel, n’est pas à la hauteur des enjeux.
Le modèle français s’honore ainsi de ne pas fonder l’attribution des aides et des prestations sociales sur le critère de nationalité du bénéficiaire. La Licra considère en conséquence qu’une politique qui remet en cause l’égalité d’accès à certains droits comme les allocations familiales ou l’aide au logement, est le contraire d’une politique d’intégration pour les populations concernées et viole notre État de droit.
La Constitution reconnaît par ailleurs, en application de l’alinéa 10 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le droit à mener une vie familiale normale. Rendre plus restrictives les conditions du regroupement familial apparaît à ce titre comme un obstacle à ce droit.
Nous soulignons le fait que le « droit du guichet » est source d’inégalités et de retards inacceptables dans l’examen des demandes de régularisation présentées par les étrangers au détriment des droits qui leur sont reconnus. Nous voulons insister sur la nécessité de repenser cette politique administrative dans son ensemble.
Il est enfin difficile de parler d’intégration si ne sont pas précisés, valorisés et déclinés les moyens de cette intégration, à commencer par l’apprentissage de la langue, le droit à l’éducation et à la santé, l’accès au travail et à la culture. Nous voulons particulièrement insister sur l’éducation comme principe fort d’intégration, en rappelant que toute fragilisation de la situation administrative des parents est de nature à compromettre le droit à l’éducation. L’accès à la citoyenneté de tous en dépend.
5. L’intégration implique également l’adhésion aux principes de la République. Dans le prolongement des actions menées contre le séparatisme, la mise en œuvre sur l’ensemble du territoire du Service national universel obligatoire pour les filles et les garçons d’une même classe d’âge contribuerait à renforcer le sentiment d’adhésion à la nation française, à ses principes et à ses valeurs ainsi que la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations.
6. Enfin, les migrations internationales ne constituent pas une réalité d’un seul bloc. Les guerres et le réchauffement climatique, le trafic des êtres humains, la vulnérabilité des femmes et des mineurs face aux trafiquants d’êtres humains, l’immigration économique ou encore la protection du droit d’asile forment autant de sujets complexes et spécifiques, qui requièrent des réponses adaptées. Parce que les migrations transfrontières engagent le droit européen et l’application de conventions internationales, il faut insister sur la nécessité d’intégrer dans la réflexion l’évolution des différentes formes de coopérations européennes et internationales. Aucune solution ne sera trouvée à la question du retour des déboutés du droit d’asile sans que ne soient établies des relations plus égalitaires et respectueuses des pays d’origine, sans exclure une certaine fermeté à l’égard de certains d’entre eux.
7. En l’absence d’une prise en compte de l’ensemble de ces considérations, la loi sur l’immigration adoptée le 19 décembre 2023 ne peut être porteuse de solutions à long terme. À l’heure où s’exprime, par la voie de médias et notamment des réseaux sociaux, la volonté de propager une vision catastrophiste pour mieux vendre les thèses mensongères du « grand remplacement » et de « l’immigration zéro », il apparaît nécessaire d’intéresser le plus largement possible la société civile à la définition de la politique d’immigration et de refuser que la carte populiste de la peur et de la désinformation ne dicte la politique publique. C’est pourquoi la Licra demande l’organisation d’une convention citoyenne qui permette une approche dépassionnée et documentée du sujet. Cette convention par son mode d’organisation sous la responsabilité du Conseil économique, social et environnemental (Cese) nous apparaît comme la seule façon de faire entendre la diversité des sensibilités, la parole des experts mais aussi les attentes et les inquiétudes des Françaises et des Français, dans un principe de concertation, de clarification et un esprit de responsabilité. Il est nécessaire que les citoyens s’emparent de cette question pour rompre avec la polarisation du débat politique entre les extrêmes, qui n’apporte pas de réponses véritables. Cette convention nous semble la seule manière de construire une politique publique de fond, responsable et durable.
Le Bureau exécutif de la Licra, 23 janvier 2024
[1] Les dispositions du projet de loi gouvernemental ont été durcies par le Sénat avant de faire l’objet à l’Assemblée nationale d’une motion de rejet préalable adoptée par une coalition de députés de LFI, du PS, de LR et du RN. Ces députés refusant de débattre du texte, c’est le texte adopté par le Sénat qui a servi de base à la réunion de la commission mixte paritaire.
[2] Le droit des étrangers en France a été réformé 18 fois entre 1996 et 20214, 29 fois depuis 1985 et 117 fois depuis 1945. Les dispositions précédentes sur l’immigration ont été prises au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron en 2018 dans la loi asile et immigration, dite « loi Collomb ».