Raphaël Roze
Somar était avocat à Homs, troisième ville de Syrie par la taille. Il y a deux ans, il a fui son pays. Fidèle d’une église orthodoxe située dans un village chrétien de la périphérie où il résidait avec sa famille, il a assisté à la fuite progressive de ses coreligionnaires habitant les quartiers centraux, chassés par les organisations islamistes armées – à commencer par le Front Al-Nosra. Intimidations, kidnappings, assassinats, etc., la vie était devenue impossible depuis le début de la guerre pour la minorité syriaque, y compris dans certaines localités des alentours exclusivement chrétiennes. « Aucun combattant musulman n’est entré chez nous, raconte Somar, mais la situation était intenable et tous ceux qui le pouvaient sont partis. Avant les hostilités, le pouvoir alaouite nous protégeait, les relations interconfessionnelles étaient correctes et aucune loi, vexation officieuse ni humiliation particulière ne nous plaçaient en situation d’infériorité. Mais ensuite… C’est grâce à ma sœur, qui avait émigré pour Paris des années auparavant avec d’autres membres de ma famille, que j’ai obtenu un visa D réservé aux personnes menacées ayant déjà des proches sur le territoire français. En octobre 2017, nous avons pu nous envoler vers Roissy. » Somar est en attente de son statut de réfugié politique. Il a emménagé dans un logement provisoire à Vincennes grâce à la communauté catholique locale qu’il fréquente désormais. L’Œuvre d’Orient se bat pour secourir les paroisses du Levant en danger et reçoit aussi des migrants. Elle leurs offre cours de langue, conseils administratifs, soutien psychologique et spirituel. Sa priorité est de permettre à ces démunis de trouver un toit. 350 ont été hébergés par ce canal associatif parmi les quelque 700 chrétiens orientaux accueillis ici depuis 2011.
Achour, lui, enseignait le sport et exerçait parallèlement la profession de plombier à Charafia, une petite commune irakienne (à 35 kilomètres au nord de Mossoul) entièrement peuplée d’Assyro-Chaldéens comme lui. « En 2014, dit-il, les miliciens de Daesh étaient tout près de Charafia. Nous savions comment ils traitaient les non-musulmans et n’avons eu d’autre choix que de fuir dans les montagnes. J’ai quitté le pays pour l’Hexagone en 2015 avec ma famille. J’ai obtenu un visa D car j’avais une sœur à Paris. La plupart de mes coreligionnaires d’Irak sont aujourd’hui aux États-Unis, en Australie ou au Canada. Nous étions deux millions sous Saddam Hussein et les violences ont été telles qu’il doit rester sur place quelque 200 000 chrétiens. » Un exode massif. Achour est hébergé à Fontainebleau par une paroisse catholique. Il se rend fréquemment à l’église assyro-chaldéenne du XVIIIe arrondissement, porte de la Chapelle.
Le sésame du visa D français
Quant à Mina, c’est un copte issu du quartier cairote d’El-Salam, « désormais infesté de salafistes », explique-t-il. Arrivé à Paris en janvier 2019, ce chimiste tenait une pharmacie avec son épouse tout en donnant des cours de spiritualité à l’église. Il tentait de dissuader les jeunes de se convertir à l’islam – pratique assez courante en Égypte – qui occasionne de terribles ruptures familiales. Cette pratique est quasi inexistante dans l’autre sens puisque le passage du sunnisme en vigueur au christianisme est puni de la peine de mort. En octobre 2017, à El-Salam, un prêtre a été assassiné par des islamistes devant sa paroisse. Mina a pu capturer le meurtrier, avec un groupe d’amis, et le livrer à la police. Cela a provoqué des réactions en chaîne et les menaces se sont multipliées contre son officine considérée comme un fief de « rebelles » coptes. Un autre pharmacien chrétien du secteur a été égorgé. Seule issue pour le chimiste et sa famille : l’exil.
Au Levant, des situations diverses
En Syrie et en Irak, les chrétiens étaient très minoritaires et protégés notamment par les pouvoirs nationalistes du XXe siècle. Leur émigration massive est essentiellement liée aux exactions récentes des islamistes, de Daesh en particulier. En revanche, les coptes, qui représentent encore 7 à 8 % de la population, ont occupé une place centrale (et souvent de hautes fonctions) en Égypte mais subi des discriminations et un exode régulier tout au long de l’histoire musulmane de ce pays.