Par Abraham Bengio
C’est pour ainsi dire d’emblée que la Bible est « polyglotte ». Si elle est évidemment rédigée en hébreu… biblique, sauf pour quelques passages en araméen dans Esdras et Daniel, les quatre livres des Maccabées ont été rédigés en grec et le livre de Tobie ne nous est parvenu que dans cette langue (ces livres ne figurent d’ailleurs pas dans le canon hébraïque). L’hébreu ayant cessé d’être la langue vernaculaire qu’il ne redeviendra qu’à la naissance de l’État d’Israël, les juifs eux-mêmes lisaient la Bible dans des traductions grecques (dont la Septante, vers 270 av. E.C.) ou araméennes (tel le Targoum d’Onkelos, IIe siècle E.C.). Rappelons que c’est en araméen encore que fut rédigée la Guemara, deuxième partie et la plus abondante du Talmud. Quant aux chrétiens, ils disposaient, outre de la Septante, de traductions latines dont la plus connue est la Vulgate due à saint Jérôme et, pour les chrétiens orientaux, de la version syriaque, dite Peshitta.
L’araméen, la langue de Jésus
L’araméen, langue sémitique, était la langue administrative des empires assyrien et perse, puis, vers le début de l’ère commune, il devient la langue parlée de tout le Proche-Orient : c’est, comme on le souligne souvent, « la langue de Jésus ». L’araméen se divisait en de nombreux dialectes qui utilisent des alphabets différents : ainsi, la langue du Talmud est le judéo-araméen et s’écrit en caractères hébraïques ; quant au syriaque « classique » ou « littéraire », il a développé un alphabet particulier : le syriaque. Toutes ces variétés sont aujourd’hui éteintes mais de nombreux chrétiens d’Orient – et une petite minorité de juifs originaires de Ninive et du Kurdistan, aujourd’hui installés en Israël et qui écrivent leur langue en caractères hébraïques – parlent des variétés modernes de l’araméen. Les chrétiens araméophones étaient doublement minoritaires au Proche-Orient, par la religion (face à l’islam) et par la langue (face à l’arabe).
Le soureth
En butte aux persécutions, beaucoup d’entre eux ont dû se résoudre à l’exil en France, en Allemagne, en Suède, aux USA, au Canada, en Russie, en Géorgie, en Arménie, en Australie… Parmi les nombreux dialectes modernes de l’araméen, le soureth1, avec ses nombreux sous-dialectes, souvent très influencés par le kurde, est de loin le plus répandu : plus d’un demi-million de chrétiens d’origine orientale parleraient aujourd’hui soureth dans le monde. Ils se désignent eux-mêmes sous le nom d’Assyro-Chaldéens. Langue essentiellement orale, elle utilise, lorsqu’elle est écrite, l’alphabet syriaque traditionnel. Le soureth est la langue parlée, tandis que la liturgie est en syriaque littéraire. En France, d’après les chercheurs Joseph Alichoran et Jean Sibille2, « le nombre de locuteurs du soureth est estimé à environ 18 000, dont 10 000 en région parisienne, la plupart établis dans le département du Val-d’Oise, à Sarcelles et dans les communes environnantes (Saint-Brice, Garges-lès-Gonesse, Villiers-le-Bel…). Il y aurait également 2 à 3 000 locuteurs à Marseille et autant à Lyon ».
1. Les informations sur le soureth sont tirées pour l’essentiel du Manuel de soureth de Bruno Poizat, Geuthner, 2008.
2. Portail des archives ouvertes de l’université Toulouse 2.