« On ne peut pas séparer les hommes des pierres »

Comment renforcer l’action de la France dans la protection patrimoine du Moyen-Orient et soutenir le réseau éducatif des communautés chrétiennes ? Charles Personnaz a rendu un rapport sur ce sujet au président Macron en 2018.

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Propos recueillis par Alexandra Demarigny

DDV Dans quel contexte le président Macron vous a-t-il demandé d’élaborer des recommandations pour renforcer le réseau éducatif de la chrétienté orientale ?

Charles Personnaz : Lors d’un discours engagé à l’Institut du monde arabe, le Président a rappelé que les communautés chrétiennes d’Orient sont très fragilisées partout dans la région, même en Égypte où elles pèsent pourtant encore numériquement. Elles sont sujettes à des discriminations, des accès de persécution, conduisant à leur départ. Pourtant il s’agit du premier réseau francophone au monde, avec 400 000 élèves, dont 60 % de musulmans, une parité filles / garçons, et un accueil des plus démunis (enfants handicapés, autistes). On y enseigne, en français, les valeurs et la culture françaises, le respect des différentes confessions, la laïcité, l’esprit critique, autant de gages d’émancipation. Ces écoles sont nombreuses au Liban, en Égypte, en Irak, en Jordanie, en Syrie, où elles forment les élites avec qui la France travaille ; elles représentent une respiration, un tiers entre musulmans chiites et sunnites, et préparent l’avenir. À Jaffa, par exemple, le collège des Frères des écoles chrétiennes instruit des élèves chrétiens, juifs et musulmans. Le soutien de ces écoles par la France, et donc le maintien des communautés chrétiennes sur place, permet d’assurer la stabilité de la région. Quand la France joue le rôle de la France, elle est entendue par les pays arabes. Mais la situation est très fragile ; les chrétiens d’Orient sont chassés partout. Au Liban ces écoles sont menacées pour des raisons financières ; or les Irakiens, les Syriens, restent chez eux en sachant qu’ils pourront toujours se réfugier au Liban, où leurs enfants pourront être instruits. Si le Liban tombe, tout tombe. Les seules alternatives à ces écoles chrétiennes sont les écoles coraniques (qui ne reçoivent pas de filles) et quelques écoles publiques dont le niveau est faible. Je préconise donc un soutien financier d’environ un million et demi d’euros, ce qui n’est rien au regard de l’enjeu, pour le soutien de ces communautés éducatives.

Vous préconisez aussi la protection du patrimoine.

On doit à tout prix éviter de reproduire le sort du patrimoine judaïque, qui était présent partout et a été abandonné depuis le départ des juifs. J’ai rencontré l’association des 30 derniers juifs au Caire, qui m’ont montré l’état calamiteux des splendides synagogues, des manuscrits, des bibliothèques : faute de communautés, tout disparaît inexorablement. Le même phénomène se produit avec le patrimoine des Assyro-Chaldéens, des Yézidis…, qui nécessitent d’importantes restaurations. On ne peut pas séparer les hommes des pierres. Protéger le patrimoine va de pair avec le soutien aux écoles, où l’on enseigne les beaux-arts, la restauration, où l’on forme les artisans et architectes qui pourront sauver le patrimoine local et assurer la transmission du savoir. L’inscription et la reconnaissance des racines des chrétiens sur leur terre est garante de leur participation à la construction d’une société stable, d’une citoyenneté renouvelée, dans une région qui s’est islamisée, et dont le droit qui s’applique discrimine tous les non-musulmans. Les écoles chrétiennes favorisent le brassage entre religions, l’apprentissage du respect de l’autre dans sa diversité, gage d’ouverture et de paix. Préserver l’identité communautaire sans enfermer les gens dans leurs communautés, équilibre subtil, est le grand défi pour les décennies à venir.

Biographie

Charles Personnaz est historien, diplômé de l’ENA. Depuis 2019 il est directeur de l’Institut national du patrimoine (INP), établissement d’enseignement supérieur qui assure la formation des conservateurs du patrimoine de l’État et des collectivités territoriales ainsi que des restaurateurs du patrimoine.

« Préserver l’identité communautaire sans enfermer les gens dans leurs communautés, équilibre subtil, est le grand défi pour les décennies à venir. »

Le rapport Personnaz est disponible sur : https://oeuvre-orient.fr/wp-content/uploads/Rapport-patrimoine-et-r%c3%a9seau-%c3%a9ducatif-chr%c3%a9tien-au-Moyen-Orient-oct-2018-C.-Personnaz.pdf

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