Cette évocation est adaptée de faits réels, malheureusement. Les prénoms et certaines évocations ont été changés. Ce récit a surtout valeur pédagogique pour montrer la dérive qui peut toucher une partie de notre jeunesse. Il est d’intérêt général de comprendre comment l’obsession de l’autre peut envahir les consciences et abîmer ce qui n’aurait pas dû l’être.
Pavel et Gaëtane sont deux jeunes gâtés par l’existence et qui, à première vue, n’ont absolument aucune raison d’être tourmentés par la haine de l’autre. Au Lycée Henri IV comme ailleurs, Pavel a pris l’habitude de caracoler dans les classements et de ne jamais rater une occasion d’être fort en thème. Le passé de son auguste famille est enraciné dans cette foi protestante qui, déjà, taquinait Louis XIV avant, plus tard, de cacher des enfants juifs sur les bords du Lignon pour certains, et d’aimer le contact de la civilisation musulmane pour d’autres. Pavel est entré dans la carrière des armes et porte fièrement l’uniforme. Gaëtane, elle, a grandi sous les reflets dorés du mobilier national au gré des affectations d’un papa général qui a gravi les échelons le long d’une ambition peu dissimulée dans les écoles d’officiers et sur les théâtres d’opérations, et a atteint, en fin de carrière, les cimes du haut commandement. Elle rêve d’avoir du talent, de percer l’écran, d’être comédienne et d’incarner les plus beaux rôles. Le mariage de ces deux destins a réuni tout ce que nos élites produisent de plus irréprochable et fréquentable. Une vraie carte postale sans nuages. Un vrai placement de père de famille, garanti Pinay.
Pourtant, l’envers de ce décor enchanteur laisse exhaler une vieille odeur de remugle, une émanation rance, un vent mauvais pétainiste. En effet, nos deux jouvenceaux sont obsédés par les juifs. A toute heure de la nuit et de la journée, leurs échanges barbotent dans l’obsession des juifs. Ils n’échangent pas d’ailleurs, ils écument. Quand le petit trépigne devant des ordres qui n’arrivent pas et une armée qui piétine, c’est de la faute « des youpins » et des francs-maçons : « Tant qu’on élira des Blum, c’est toujours le même problème ». Quand elle va passer un casting, elle se dit que l’allure de son nez pourrait l’aider à décrocher un rôle, espérant se « sémitiser »; « un plus » pour sa carrière au sein d’un cinéma qu’elle fantasme tenu par les juifs et « qui fait du business sur la Shoah ». Entre deux messages, on s’échange des vidéos sur le Führer, « une vraie source d’inspiration ». Le petit soldat déplore avoir du sang “mélangé à des Untermenschen », et d’être un « demi-aryen ». Après un mariage civil sablé au champagne dans le 300 m2 du tonton sous les fenêtres de l’Hôtel Matignon, et à l’approche du mariage religieux, Gaëtane imagine un mariage druidique où elle et son époux scelleraient leur amour à la faveur d’un serment prêté sur une page de Mein Kampf. Un jour d’ivresse sans doute, la dulcinée se fait tatouer une croix-gammée surmontée d’un aigle, tout en jalousant son meilleur ami, qui lui, arbore une tête de mort de la SS sur le torse. Pour agrémenter tout cela, on mène une vie de Tartuffe à confesse, on trempe sa prétendue foi et ses dévotions dans le Chardonnet intégriste, on fraternise avec les amis de Pie X, on se donne rendez-vous dans les catacombes à la sortie de l’office pour des retrouvailles antisémites, entre amis, pour célébrer Faurisson.
Mais les juifs ne suffisent pas à leur appétit de haine. En plus d’être antisémites, ils ne manquent pas une occasion de vomir sur tout ce qui n’est pas blanc et chrétien. Gaëtane se vante que son père, engagé au Mali, va « niker les arabes ». Les « négros » et « bicots » viennent fleurir quotidiennement leur bouquet néo-nazi où s’ajoutent quotidiennement homophobie et complotisme, entre deux séances de tirs dans les bois pour s’entraîner, « au cas où ».
Ces deux jeunes ont visiblement perdu le sens commun et se sont radicalisés l’un l’autre, à la fréquentation abusive des réseaux sociaux et d’une endogamie sociale effrayée par la mixité et la diversité, claquemurée dans le fantasme d’une France qui, d’ailleurs, n’a jamais existé. La peur de se faire « grandremplacer » les conduit dans l’abîme. Ils se sont enfermés dans leur fièvre obsidionale, dans un cloaque identitaire vénéneux, planqués derrière les apparences commodes de la respectabilité acquise par des histoires familiales à mille lieues de cet enfer idéologique. Il faut sans doute les plaindre d’être animés par autant de haine et de ressentiment. Les interrogations sont nombreuses devant cette génération spontanée de racistes et d’antisémites dont on pouvait croire que l’éducation et la culture les auraient prémunis de ces fléaux.
Il est à espérer que leur conscience saura leur faire prendre le même chemin que Daniel Cordier qui, après une jeunesse maurassienne vigoureusement antisémite, a su comprendre son erreur en ne la transformant pas en faute, avant de la sublimer dans un engagement sans faille pour la France, celle des Lumières et de la fraternité. Pas celle des nazis et de leurs collaborateurs.