” Évidemment, il y a d’abord les deuils, les souffrances, les inquiétudes vitales. Et la suite semble bien floue. Pourtant, les conséquences économiques, sociales et politiques de la crise sanitaire pourraient être brutales, pour notre démocratie en particulier.
L’épidémie n’intervient pas à n’importe quel moment. Depuis des années, les extrémismes identitaires bousculent notre édifice démocratique par leurs discours, leurs succès électoraux, leurs poisons qui s’insinuent jusque dans les émotions, faisant reculer la raison nécessaire à la démocratie. La crise des gilets jaunes puis celle des retraites ont aussi secoué le pays sans véritables solutions de fond. Dans ce ciel déjà chargé, une crise économique majeure, nationale ou internationale, risque de transformer la résignation en défiance, la peur en colère et le ressentiment en violence. Elle pourrait apporter aux forces extrémistes des contingents d’adhésion ou une tolérance croissante à l’inacceptable. Cette crise et ses conséquences sociales peuvent être ainsi cet « accélérateur » qui produit dans l’histoire l’embrasement d’un mal social qui couve, avec son cortège de stigmatisations, d’injustices, de souffrances, encore.
Nous sommes sortis de la première étape d’un processus de crise qui ouvre vers des possibles que l’on peut entrevoir à la lumière du passé. Cette étape a été marquée par la sidération, aggravée par le confinement inattendu et par l’urgence vitale de protéger et de nourrir les siens. Une deuxième étape va durer encore quelques semaines avec de magnifiques solidarités mais aussi des délations, du complotisme, la recherche de coupables. Et le coupable idéal c’est souvent un «autre», un bouc émissaire, bien tapi dans l’inconscient collectif.
C’est en fin de crise sanitaire que se présentera une troisième étape plus dangereuse pour la démocratie, en France et ailleurs, à l’image de la crise de 1929 dont on sait ce qu’elle a produit comme crispations et violences, dérives autoritaires et populistes, protectionnisme et nationalismes mortifères. La démocratie peut alors être vraiment en danger. D’autant que les peuples se sont déjà habitués depuis bien longtemps à un curseur qui se déplace plutôt vers la sécurité que vers les libertés. Les terrorismes ont aggravé la tendance, et les restrictions actuelles de libertés -même temporairement légitimes- vont dans le même sens.
Pour faire face à ces risques exceptionnels pour la démocratie, ne serait-il pas opportun d’envisager la création d’une instance indépendante, pluridisciplinaire et pluraliste, un Conseil d’analyse et de suivi démocratiques, à l’image du Conseil scientifique aujourd’hui installé pour les questions médicales ? Ce Conseil aurait une compétence sur les questions sociétales, avec une vue globale sur la « santé sociétale », car la démocratie n’est pas seulement faite de garanties formelles ou juridiques à préserver. Les mesures envisagées – comme le tracking- ne seraient pas analysées une à une mais, à travers des « études d’impact démocratique », comme des pièces d’un puzzle qui donne une physionomie à notre société de liberté.
Cependant, aucun des scénarios sombres n’est inévitable. L’expérience du passé c’est aussi celle des résistances finalement victorieuses.Ainsi, une fois passée -bien ou mal- cette troisième étape dangereuse, ce sera une quatrième phase d’ouverture des possibles. Peut-être pour le meilleur après le pire. C’est pour ce meilleur qu’il faut dès maintenant semer les graines de l’avenir. Par le débat d’idées et l’intelligence collective.
L’expérience de l’humanité suggère plusieurs pistes possibles après un tel ébranlement. D’abord, le simple retour à la situation antérieure, avec des ajustements mineurs : tout cela n’aura été qu’une simple parenthèse, un drame que l’on voudra oublier.On peut avoir aussi, à l’inverse, une démocratie défigurée par des régimes « illibéraux », « hybrides » voire autoritaires comme ceux qui ont perduré en Espagne et au Portugal après la Seconde Guerre mondiale
Mais de vraies réformes ne sont pas non plus à exclure, comme après 1945 : sans remise en cause de la démocratie, le système actuel se transformerait pour qu’il y ait un progrès véritable.Face aux inégalités et au ressentiment, il faudrait reconnaître substantiellement, au-delà de nos applaudissements quotidiens, la justice due à tous ceux devant lesquels nous passions sans les voir, et à qui nous devons tant désormais. Face à l’emballement complotiste et aux fake news, il s’agirait de restaurer la force du discours de la raison et des faits, notamment grâce à l’éducation aux médias qui devrait être érigée en discipline scolaire et universitaire. Face aux assauts des extrémistes identitaires, à leur religion du repli et de la peur, il faudra réhabiliter l’autre comme un semblable et non comme une menace, retrouver un horizon de progrès, poser des actes de confiance dans l’avenir, mobiliser la richesse de l’expérience du passé pour adopter les bons repères.
Et puis, encore au-delà, il peut heureusement y avoir des après-demains qui chantent ; avec des « traces culturelles » profondes et durables, des changements du type de ceux nés de mai 1968 pour les droits des femmes. Parmi ces ouvertures possibles, il y a la conscience de l’unité de destin du genre humain y compris écologique, l’importance du rapport à l’autre, le refus durable des injustices devenues plus évidentes pendant la crise, la remise en cause des contraintes économiques drastiques notamment sur la santé, l’éducation ou la recherche, le sens de l’implication citoyenne… Et puis, il y a le rapport au temps : ralentir les rythmes économiques, personnels, familiaux, etc, devient envisageable par une prise de conscience collective et par le jeu des acteurs de terrain. Pourraient ainsi être freinées les déstabilisations multiples et les recherches « compensatoires » de repères autoritaires, de crispations identitaires… De beaux espoirs certes.
Mais empêchons d’abord que ne se défasse le meilleur de notre monde !”
Un bel article qui exprime vraiment ce que nous sommes nombreux à penser . Si l’on relit ce qui s’est passé après 1936 , il est possible de garder espoir malgré ce qui semble se profiler . Oui, gardons espoir que les Français sauront décider qu’ils veulent une démocratie sociale et écologique et tournée vers “l’autre” comme un frère . Et tout faire pour des décisions soient prises en ce sens … mc
très belle réflexion. c’est exactement ce que je pense. je garde votre texte au chaud dans mon dossier COVID19.
Xavier ALLAIN
Citoyen du Morbihan et GJ
D’accord avec tout cela. Mais méditons également sur un autre aspect du problème: les morts du corona nous semblent beaucoup plus insupportables que les morts d’autres causes non naturelles, qui sont pourtant beaucoup plus nombreuses. Pourquoi? Est-ce parce qu’avec le corona, nous nous sentons tous (à tort) menacés? Cette épidémie doit nous rendre aussi insupportable et inacceptable le fait qu’on meure du tabac, de l’alcool, de la pollution, etc, toutes ces causes que nous prenons avec fatalisme. Nous ne devons plus accepter que la civilisation tue.
“Pourquoi la civilisation, si de tels poisons s’inventent?” (A. Rimbaud)
Le lion et le covid paroles Claude Jambon , musique de Thomas Fersen : Les malheurs du lion
Sur son trône trônait le lion,
Aux pieds sa population,
Dont des petites gens qui triment
Tandis qu’d’autres richissimes
Aux rev’nus astronomiques,
Plus de 10000 fois le smic
Ne jurent que par le fric
Veulent que dure cette politique
Et caressent dans l’sens du poil
L’ego de leur roi, sans voile
C’est ainsi qu’vivait le lion
Perpétuant la tradition
En ponctionnant les petits
Favorisant les nantis
En réduisant les crédits
Pour ceux qui ont des soucis
Notamment sur la Santé
Ça coute trop cher de soigner
Plein de lits il fit fermer
Et des faveurs au Privé
Et puis Covid arriva
Pas comme Zorro celui-là
Il était aussi masqué
Mais Lui pas pour nous sauver
Il ne fit pas de cadeaux
Et envoya au tombeau
Des milliers de gens âgés
Et des moins favorisés,
Et Lui aussi couronné,
Le lion ne fit que pleurer
Sur les soignants non masqués
Et sans blouses et pas gantés
L’absence de respirateurs
Qu’on lui reproche, quelle horreur !
Il esquive et se rebiffe
Ses prédécesseurs il griffe
Fallait que les actionnaires
Deviennent tous millionnaires
Et pour ça fallait fermer
C’qu’ était cher à fabriquer
Fallait délocaliser
Vers la main d’œuvre bon marché
Tant pis pour le savoir-faire
Les opposants on fit taire
C’était bon pour les Affaires
Et du reste on n’a que faire !
Notamment la pollution
Faut qu’la civilisation
Continue à avancer
Même si certains doivent crever
Tout ça ça plongea le lion
Dans une nouvelle réflexion
D’paradigme on va changer
S’préoccuper d’la Santé
Des pauvres et des réfugiés
Et de tous les délaissés
Mais pour ça faut du pognon
De dingue, ceux qu’y en ont disent : NON
On veut rester comme on est
Passez vot’ ch’min s’il vous plait !
Et ainsi finit l’histoire
A la Finance la Victoire
Un nouveau lion au pouvoir,
A l’ancien bye bye au-revoir
Marionnettes des argentiers
La machine faut faire tourner
Pour donner les dividendes
Aux actionnaires qui attendent
Recommençons à polluer
Les vacances c’est terminé !
Ou alors on peut rêver
D’une nouvelle société
Comme après la Résistance
Le renouveau de la France
En retrouvant les valeurs
Des gens utiles, des chercheurs
Des soignants, des enseignants,
De tous ceux qui nous nourrissent
Et œuvrer pour que l’on puisse
Aller vers un monde meilleur
Aller vers un monde meilleur.
trés beau texte; le pire n’est jamais sûr, mais la vigilance s’impose