Cette note s’efforce de clarifier deux termes qui ont pu, historiquement, être confondus, notamment par des institutions religieuses. Une note du groupe États généraux de la laïcité de la Licra.
Concepts
Les dictionnaires fournissent des définitions distinctes pour les deux mots, avec cependant des similitudes qui ne doivent pas tromper. Il en ressort les approches suivantes.
Une doctrine est un ensemble de principes à partir desquels est proposée une interprétation des faits dans le but d’orienter ou de diriger l’action humaine.
Un dogme est une proposition (un point de doctrine) considérée comme une vérité indiscutable.
Tandis que la doctrine établit des axes pour l’action, le dogme détermine a priori le comportement à suivre. Dans le premier cas, il s’agit de présenter une tendance générale ; dans le second d’imposer un comportement unique.
Principes de la laïcité
La laïcité s’appuie sur 3 piliers :
L’autonomie du politique : la société n’a pas besoin d’une extériorité – notamment religieuse – pour fonder sa légitimité. Cette position fait obstacle aux visées totalisantes du religieux. Symétriquement, la société ne se mêle pas des cultes.
La neutralité de la République : rejet des références religieuses ou cultuelles dans les domaines relevant de l’espace public.
La liberté de conscience : pose le droit personnel absolu de penser sans contrainte. Cela implique également le droit de croire en une divinité, de n’y pas croire ou de changer de croyance. L’article X de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen l’affirme solennellement : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».
L’organisation des cultes en découle.
Doctrines en matière de laïcité
Si la laïcité se mesure à la neutralité de l’État, à l’indépendance des instances politiques vis-à-vis des institutions et des normes religieuses, à la liberté de conscience égale pour tous, à l’égalité civile de tous les individus indépendamment de leur ancrage religieux, alors de nombreux cas se présentent dans le monde.
Contrairement à une idée reçue, la laïcité n’est ni une invention ni une spécificité française. Ses prémisses se trouvent chez les philosophes grecs (Epicure, Marc Aurèle), les penseurs du siècle des Lumières (Locke, Diderot, Voltaire, Condorcet), les pères fondateurs des Etats-Unis (Madison, Adams, Jefferson, Paine) et les promoteurs de la loi de 1905 en France (notamment Ferry, Buisson, Briand et Jaurès).
Aux Etats-Unis, la religion est séparée de l’Etat par la constitution de 1787 et son premier amendement de 1791. C’est aussi la première constitution à garantir la non-ingérence de l’État dans les religions et la liberté de culte. Bien que dans la pratique quotidienne la référence à Dieu soit très présente (serment sur la Bible, inscription de In God we trust sur les billets de banque…), aucun des textes fondateurs de la République américaine (la Constitution et la Déclaration des Droits – les dix premiers amendements) ne fait référence à Dieu ou à la Providence. Cette dualité peut se comprendre par le souci des Américains de s’affranchir des persécutions religieuses subies par ceux qui quittèrent l’Europe pour fonder un nouveau monde et enfin laisser libre cours à leurs convictions. C’est un peu le contraire dans l’Hexagone : subissant le poids du religieux durant au moins 1 500 ans, la perception française se défie fortement de son influence au sein de la société.
D’autres pays ont adopté le principe de la séparation entre les Eglises et l’Etat, comme le Mexique (depuis 1863), l’Allemagne (depuis 1920), le Japon (depuis 1946), l’Inde (depuis 1950), la Russie (depuis 1990), même si certains entretiennent une ambiguïté entre la déclaration constitutionnelle et les pratiques gouvernementales comme la Turquie (constitution laïque de 1937) ou la Chine (constitution laïque de 1982).
Ces variations sur le même thème soulignent la force des principes fondamentaux tout en montrant une diversité d’appréciations, qui témoignent pour la doctrine et justifient le rejet du dogmatisme.
Dogme contre doctrine
Dans un pays comme la France, l’affichage religieux est souvent perçu comme une rupture de la neutralité : des signes désignés comme ostentatoires, le port du voile pour les femmes, une longue barbe pour les hommes, l’accompagnement d’enfants scolarisés par des mères voilées, etc.
Certains s’opposent catégoriquement à ces visualisations. Ils les perçoivent comme une atteinte à la laïcité. D’autres y voient une application du principe édicté par l’article X de la Déclaration de 1789, rappelé plus haut.
Il est possible que dans une société sécularisée, où les signes distinctifs des personnes engagées religieusement ont déserté les rues (soutanes pour les prêtres catholiques, cornettes pour les sœurs) tandis que d’autres apparaissaient (barbe et voile chez des musulmans), l’affichage soit perçu et ressenti comme une forme de prosélytisme. Il reste que dans d’autres pays laïcs, ces manifestations vestimentaires n’ont pas engendré de conflits comme en France.
Il en résulte que si la doctrine ne souffre pas de remise en cause, le dogme doit être interrogé. Celui-ci porte sur une proposition théorique transformée en vérité indiscutable. De ce point de vue, la laïcité pourrait être dogmatisée, en particulier par ceux qui refusent que la liberté de conscience puisse s’exprimer par le port d’un vêtement particulier (sous réserve d’être compatible avec les lois de la République). Si l’on pose que la liberté individuelle est le socle sur lequel peut s’établir une société contractuelle (à la J.J. Rousseau), cette liberté de conscience est un axiome indestructible. Dès lors, soutenir que la laïcité imposerait une vision exclusive aboutirait à une contradiction dans les termes.
Brève conclusion
Adepte sans ambiguïté d’une laïcité sans compromis (privée d’adjectif), la Licra défend également les droits de la personne. Cela lui interdit de tomber dans le dogme. En son sein peuvent donc coexister des nuances entre les militants.
En 1930, le vice-président de la Licra, chargé de la propagande, Lazare Rachline, écrivait : « Notre doctrine, c’est la conscience ; notre programme, c’est la justice. » Cette vision reste d’actualité.
François Rachline et le groupe États généraux de la laïcité