Édito publié dans Le DDV n°682. Par Mario Stasi, Président de la Licra.
La laïcité n’est pas gravée au fronton des mairies. Elle n’appartient pas à la devise républicaine. Elle y aurait pourtant sa place, aux côtés de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, tant il est vrai qu’elle irrigue, chaque jour, notre société. Alors qu’elle a été instituée dans nos principes et dans notre droit pour nous réunir, elle n’a sans doute – et je le déplore – jamais autant divisé. Le sujet est devenu hautement inflammable. À sa simple évocation, on voit surgir à l’horizon le front de ses contempteurs, dans un camaïeu de nuances qui va du dubitatif crédule, prêt à habiller la laïcité d’épithètes démissionnaires, à l’intégriste farouche qui entend bien lui faire la peau.
Au-delà des polémiques, il y a deux visions de la société qui s’affrontent dans ce débat et dont les racines sont anciennes : l’universalisme et le communautarisme. La première trouve sa source dans les Lumières, dans cette lente émancipation des écritures révélées, passées au tamis de la raison et de la liberté offerte à chacun d’y souscrire ou non. Elle repose sur la Nation, ce pacte commun, ce socle partagé de valeurs, de principes et de règles. Il est, chacun le sait, bien davantage que la simple addition des intérêts particuliers. C’est une vision qui confère à l’individu, dans cet ensemble, une capacité à s’accomplir selon ses choix et son libre arbitre. C’est un cadre dans lequel chacun n’est défini que par ce qu’il est, un citoyen, « libre de s’inventer soi-même », pour reprendre les mots d’Henri Peña-Ruiz.
« Il nous faut assumer d’être les défenseurs infatigables de l’universalisme. »
La seconde trouve sa source, en définitive, dans notre Ancien Régime, lorsque la communauté d’appartenance primait sur l’individu, quand la foi – ou l’absence de foi –, déterminait ad vitam votre vie, votre place dans la société et votre poids politique. C’est une vision où la communauté d’appartenance dispose de règles propres, en dehors des règles générales, où les corps intermédiaires étouffent la liberté politique d’un individu aliéné à leur tutelle. Dans cette vision, il n’y a plus, en définitive, de nation possible mais un archipel de nations qui se disputent entre elles le droit d’être les victimes des autres. Il y a dans ce cas d’espèce cette revendication historique à rendre notre République divisible en groupes définis par des appartenances, des origines, des religions, des cultures. À ce jeu des subdivisions, la liste est aussi longue que l’infinité du nombre Pi et les possibilités d’enfermement de l’individu dans une différence ou un particularisme le sont bien davantage.
Il nous faut assumer d’être les défenseurs infatigables de l’universalisme et refuser de congédier notre idéal au motif qu’il a des adversaires tenaces, obstinés, nombreux, voire armés. Mais ce combat exige de la patience et du sang-froid. Il serait en effet dangereux de céder aux sirènes identitaires qui, depuis l’extrême droite, tentent de nous détourner de la trajectoire républicaine et qui comptent bien, pour y parvenir, profiter des mauvais courants générés par la houle communautariste. Surtout, ce combat n’est pas un affrontement entre dieux aux cimes de l’Olympe. Il est là, sous nos yeux, dans la vie quotidienne : dans nos écoles, dans nos entreprises, dans nos rues, dans nos clubs sportifs, dans nos universités. Il a pour l’heure un visage : celui de la lutte contre l’islamisme. Il a une réalité : celle de ces femmes qu’on asservit dans un état de minorité inacceptable, de ces enfants qu’on déscolarise pour les endoctriner, de ces jeunes à qui l’on explique que la laïcité serait « islamophobe », de ces juifs que l’on assassine dans une épicerie pour sacrifier à l’antisémitisme de Daech… Ce combat, il a le visage de Samuel Paty, un simple professeur décapité par un islamiste devant le collège où il enseignait la liberté et où il voulait faire de chaque élève un citoyen éclairé.
En recevant à l’Hôtel de ville de Paris, le 8 octobre 2012, le prix de la laïcité, Charb déclarait : « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent. » Les ennemis de la laïcité l’ont fait taire le 7 janvier 2015. Il nous incombe le devoir de ne pas nous taire, de reprendre le sillon tracé par les Lumières pour combattre les prétentions politiques des religions et garantir aux individus la liberté absolue de conscience, avec pour seule limite l’interdiction, elle aussi absolue, d’opprimer une autre conscience.