La « chambre introuvable » issue des élections générales italiennes risque d’adouber un gouvernement inédit en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale : un gouvernement de coalition qui va de la Ligue du Nord au Mouvement 5 étoiles en passant par Frères d’Italie – et surtout frères du Front National français – la droite berluscionnienne de Forza Italia et les centriste de l’UDC. Cette coalition est une innovation politique qui fait courir à l’Europe et aux démocraties européennes un grave danger et démontre la capacité des extrémistes à converger ensemble dans un contrat de gouvernement et à s’adjoindre de nombreux alliés. La nature de chacune de ces formations politiques fait craindre pire sur la politique qui sera menée par cette alliance des extrémistes.
La Ligue : du sécessionnisme régionaliste à la xénophobie
Sur les affiches, la Ligue du Nord est devenue « la Ligue », histoire de gommer l’image du mouvement régionaliste sécessionniste fondé en 1989 et qui incarne, pour reprendre les mots d’André Taguieff, « un populisme identitaire ethnorégionaliste ». Le leader actuel de la Ligue, arrivé en tête lors des élections de mars 2018, Matteo Salvini a adhéré à la ligue dès 1990. Candidat des « communistes padaniens », il a grandi dans l’ombre de son mentor Umberto Bossi, devenant député européen en 2004 et député national en 2013.
Après les échecs électoraux successifs, Salvini a fait évoluer la ligne politique de la Ligue : d’une ligne régionaliste, portée par un fédéralisme européen autonomiste, il empreinte les sentiers désormais battus de l’euroscepticisme, de la xénophobie et d’un conservatisme réactionnaire assumé. Il est aidé en cela par des nombreux dérapages racistes des membres de son parti. Roberto Calderoli, membre de la Ligue et vice-président du Sénat, avait qualifié Cécile Kyenge, ministre italienne d’origine congolaise du gouvernement Renzi, d’orang-outang. Quelques années auparavant, il avait affirmé lors de la finale France-Italie du mondial de football que l’Italie a « battu une équipe qui, pour obtenir des résultats, a sacrifié son identité en alignant des nègres, des musulmans et des communistes ». Le député européen Mario Borghezio, lui aussi membre de la Ligue s’est illustré en arrosant un terrain qui devait accueillir une mosquée avec de l’urine de porc et en partageant les idées de Breivik, le Norvégien néonazi qui assassina 77 personnes.
En 2009, il se déclare favorable à des wagons séparés pour les Milanais « de souche » dans le métro de la capitale lombarde et en 2016 n’hésite pas à qualifier l’euro de « crime contre l’Humanité ». Dès lors, il assume un programme xénophobe décomplexé, déclarant que « nous assistons à une tentative d’occupation militaire et culturelle par une communauté arrogante. L’accueil et la tolérance sont un suicide. Le pape ne rend pas un bon service en demandant de dialoguer avec l’islam. » Ses candidats aux élections arborent fièrement des T-Shirts anti-roms dont il propose de « raser les camps au bulldozer » et pour lesquels il propose un véritable apartheid. Ces incitations à la haine ne sont pas restées sans effet : lors de la dernière campagne électorale, un ancien candidat de la Ligue aux municipales, Luca Traini, tatoué de symboles néo-nazis et lecteur assidu de Mein Kampf, a fait feu sur six migrants dans la petite ville de Macerata, dans les Marches.
Le Mouvement 5 étoiles : l’extrémisme anti-système et … antisémite
Le Mouvement 5 étoiles est né en 2009 d’une prétendue « démarche citoyenne » lancée par Beppe Grillo, ancien « humoriste » et Gianroberto Casaleggio. Le mouvement fait une entrée fracassante dans la vie politique italienne en 2013 en obtenant entre 23,8 % et 25,6 % aux deux chambres du Parlement italien et 31 sièges au Parlement européen lors des régionales de 2014. En juin 2016, le Mouvement 5 étoiles remporte – avec le soutien des néo-fascismes de Fratelli d’Italia- Rome avec Virginia Raggi et Turin avec Chiara Appendino. Derrière l’apparence du renouvellement, du rajeunissement et de la féminisation, le Mouvement 5 étoiles peine à masquer les sources de son inspiration idéologique. Car le Mouvement Cinq Etoiles ne fait pas dans la finesse. Beppe Grillo, surnommé « le Dieudonné Italien », ne cache pas sa proximité avec Maurizio Blondel, catholique traditionnaliste qui anime la sphère complotiste italienne. Et quand on parle de théories du complot, l’antisémitisme n’est jamais très loin. Dans ce domaine, Beppe Grillo multiplie les dérapages. En avril 2014, sa parodie de Si c’est un homme de Primo Lévi, accompagnée d’un photomontage « P2 macht Frei » en référence à la loge éponyme, avait suscité l’émoi et l’indignation au sein de la communauté juive et d’une partie de la classe politique italienne. Sous couvert d’antisionisme, il est grand admirateur de la République islamique d’Iran et considère que « Hitler était certainement un fou malade mais son idée d’éliminer les Juifs était d’éliminer la dictature financière ».
Raciste à souhait, il a surfé sur la crise des réfugiés, la peur de l’étranger à laquelle il associe volontiers le retour des épidémies comme la tuberculose. Mais Beppe Grillo n’est pas un cas isolé dans son parti. Au Parlement européen, le M5S a noué une alliance qu’il veut “technique” avec l’Ukip de Nigel Farage, le parti britannique à l’origine de la campagne pour le Brexit. Lors de la campagne de 2018, Matteo Renzi a mis en cause le Mouvement Cinq étoiles et notamment Davide Casaleggio, d’avoir orchestré une campagne de « fake news » soutenue par la Russie. Le nouveau leader du Mouvement 5 étoiles Luigi Di Maio, fils d’un ancien responsable Mouvement social italien néofasciste, a été choisi pour adoucir l’image du parti et dédiaboliser le discours de sa formation.
Après l’Autriche, qui a vu l’avènement d’une coalition ouverte à l’extrême-droite, la Hongrie, aux mains de Viktor Orban, la dérive extrémiste de la Pologne, le renouveau des mouvements d’extrême-droite en Allemagne, l’Italie s’apprête elle-aussi à se doter d’un gouvernement issu de formations politiques marquées par le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Mais pour la première fois, c’est une coalition hétéroclite où cohabiteront les populismes de tous bords, d’extrême-droite, de droite et d’extrême-gauche, qui prendra la tête de l’Italie. Cette convergence doit inquiéter, y compris en France. Lors de l’élection de Virginia Raggi à la mairie de Rome, les applaudissements étaient venus de Bruno Gollnisch et Florian Philippot, ce dernier saluant « la victoire de l’euroscepticisme et du vote antisystème ». Mais aussi de Yann Mongaburu, élu « Europe Ecologie Les Verts » de Grenoble et vice-président de la métropole des Alpes en charge des déplacements, très heureux de saluer la victoire « d’une femme maire, à vélo », symbole pour lui d’une « Europe renaissante ». Décidément, les extrêmes opposés en politique sont parfois plus proches entre eux qu’ils ne sont proches du centre.
Mario Stasi, président de la LICRA