Théâtre des Doms, 1 bis rue Escaliers Ste-Anne. Du 6 au 27 juillet à 15h (relâche les mercredi 12 et 19). Durée 1h10 (dès 14 ans). Mise en scène : Sophie Delacollette, Alice Martinache, Héloïse Meire.
Ou comment resituer un mythe en renversant les rôles. Ici c’est Méduse qui parle, et non plus Persée. Elles sont trois sur scène, chacune Méduse à tour de rôle.
On entend l’éternelle histoire de la féminité muselée, réduite au silence et qui n’accepte pas ce joug. Méduse.s revendiquent donc sa violence et pourquoi cette violence.
Le collectif La Gang et la Cie What’s up racontent par les voix des trois comédiennes, l’envers du mythe, qu’il soit grec ou latin, avec un talent infini.
Josiane Pioda
De Méduse, personnage mythologique mi femme mi monstre, on connaît la tête couverte de serpents et d’écailles qui tranchée par Persée, fit de lui un héros.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle a été punie et s’est transformée en monstre, en Gorgone qui pétrifie quiconque la regarde, parce que violée par Poséidon, le dieu de la mer.
Des méduses, on connaît aussi ces créatures marines, belles et vaporeuses mais tentaculaires et urticantes, qu’il vaut mieux éviter d’approcher…
Le collectif la Gang a décidé de réécrire le mythe, de faire de Méduse une femme qui se réapproprie sa vie en tant que sujet, de lui donner une voix, des voix et les faire entendre à neuf en l’inscrivant dans une histoire contemporaine.
Les témoignages audios de femmes victimes d’agressions sexuelles souvent tues ou jugées sans suite, qui ponctuent le récit, font résonner le mythe autrement, à l’époque de #me too.
Avec fluidité et inventivité, passant d’un personnage à un autre, des voix féminines aussi bien que masculines, mythologiques comme quotidiennes, de la déesse Athéna aux vendeuses de poisson à la criée Sophie Dacolette, Alice Martinache, Catherine Rans tour à tour comédiennes, manipulatrices, récitantes, vidéastes, nous plongent dans un univers aquatique.
Magnifique image d’ouverture où de leurs mains immergées dans un aquarium luminescent apparaissent, distillées en volutes de couleur, des formes mouvantes de méduses rêvées.
Aux images vidéo projetées en direct en fond de scène, à la forêt de bras et de mains évoquant le mouvement lascif et inquiétant d’algues-serpents dans les abysses marins, succèdent des plans serrés, zoomant à l’aide d’un téléphone portable sur des parties de corps des comédiennes : le gros plan d’un index s’insinuant dans le creux du coude replié évoque de manière hypnotique, la violence subie par Méduse, subie par les femmes non consentantes.
Par ce récit éclaté du mythe d’hier à aujourd’hui, où s’entremêlent, s’entrechoquent et se font écho dialogues, récits audios et images de toute beauté créées en direct, l’usage de formes dites « mineures » comme le théâtre d’objets croisé à d’autres écritures en décalage avec un théâtre où prime le texte, invitent les spectateurs à être plus actifs, à recomposer tous les éléments du puzzle, pour créer une nouvelle Méduse.
Ici, la démultiplication des points de vue, au sens littéral comme figuré, par la mise en jeu de perceptions différentes du corps des actrices dont la présence s’avère centrale dans le récit – corps morcelé, animalisé, déformé, objectivé et reconstitué prend forme de manifeste.
Exit la « place du prince », exit la parole dominante de Persée, la narration menée par le seul et univoque point de vue du « héros ».
Se jouant de la répartition hiérarchisée des rôles entre comédiennes, autrices, metteuses en scène, pour les endosser tous à la fois, c’est bien à une autre manière d’envisager le théâtre que nous sommes conviés ici, pour se débarrasser d’anciennes peaux, d’écailles et de serpents- qui ne nous ressemblent pas ou plus, à joyeusement déboulonner les mythes pour les réinventer, à les fragmenter pour aller vers le composite, vers l’hybride. En sororité avec toutes les Méduse.s
Véronique Ejnès