Théâtre des Carmes André Benedetto : 6 place des Carmes. Du 7 et 26 juillet à 9h50 (relâche les jeudis 13 et 20 juillet). Mise en scène de Luca Franceschi et la direction artistique de Thierry Auzer. Durée 1h30 (dès 12 ans).
À l’origine il s’agit d’un roman bouleversant, d’une extrême densité de l’écrivain algérien Boualem Sansal publié en 2008 et maintes fois récompensé.
Roman traversé par la mort, les morts d’hier, les morts d’aujourd’hui et peut être aussi l’inquiétude des morts de demain.
Une fiction qui relie trois évènements dramatiques: la Shoah dont on ne parle pas en Algérie, les massacres perpétrés par le GIA dans les années 90 et la mainmise des fondamentalistes sur certaines cités des banlieues françaises.
Transposer au théâtre un texte aussi puissant est le défi qu’a relevé avec succès le metteur en scène Luca Franceschi. Grâce à une scénographie très efficace signée Thierry Auzer et au talent polyvalent des 6 comédiens de la Compagnie des Asphodèles du Colibri, l’histoire des deux frères Rachel et Malrich se déroule en une succession de tableaux emmenant le spectateur de lieu en lieu sans jamais le perdre.
Nous sommes en 1996, la première scène s’ouvre sur le suicide du frère aîné Rachel qui laisse à son jeune frère Malrich un journal intime où il explique que durant deux années, il a mené une enquête sur leur père allemand Hans Schiller. Suite au massacre perpétré par le GIA de tout le village d’Aïn Deb où vivaient les parents, il va se recueillir sur la tombe de ses parents et découvre dans la maison d’enfance une valise contenant les traces accablantes du passé du père. Il va alors remonter le temps et retracer le parcours de ce père dont la vérité insoutenable va lui exploser à la figure. Ce bon père, haut dignitaire converti à l’islam et respecté de tous au village n’était ni plus ni moins qu’un ex officier nazi monstrueux. (le Bourreau devenu Juste?)
Le monde va s’effondrer pour Rachel, il va vouloir comprendre les origines du mal sans y parvenir. Endossant les crimes du père il va aller jusqu’à Auschwitz et ne survivra pas à l’horreur qu’il y découvre.
Deux journaux intimes vont s’imbriquer, celui de Rachel et celui de Malrich dans une alternance de lectures et de scènes jouées. Mort de Rachel qui va expier les fautes du père et rédemption de Malrich qui, dans une pulsion de vie, va crier la réalité à la face du monde.
Il faut voir ce spectacle car la question centrale est celle de la mémoire et le terrible poids du silence, est ce que le silence tue? Oui sans doute car le silence génère l’oubli, l’oubli génère l’ignorance, l’ignorance génère la peur, et la peur génère la haine.
Gardons cet espoir que le roman de Boualem Sansal, tout comme la pièce de Luca Franceschi contribuent à atteindre leurs destinataires.
Marcelle Caro