Le 12 novembre au Palais de la Porte Dorée (Paris XIIe), une conférence était organisée par l’Association française des managers de la diversité (AFMD) pour présenter son nouvel ouvrage : Le racisme et la discrimination raciale au travail.
L’AFMD est une association d’intérêt général fondée en 2007 qui réunit aujourd’hui 130 organisations (entreprises, institutions, universités, écoles, associations, etc.) dont Accenture, Radio France, SNCF, Valeo, SciencesPo… Cet ouvrage est le fruit d’un travail de terrain mené en étroite collaboration avec l’équipe du Défenseur des droits, auprès de 43 salariés provenant de cinq organisations adhérentes à l’AFMD (restées anonymes), entre octobre 2017 et mars 2018. D’emblée, une réalité saute aux yeux : les discriminations liées « à l’origine » sont encore aujourd’hui le premier cas de discrimination dans l’entreprise. « Lors du testing de 2016, raconte Mansour Zoberi, président de l’AFMD, alors que les candidatures portant un nom “hexagonal” obtenaient 47 % de réponses positives, les mêmes candidatures portant un nom “maghrébin” ont reçu seulement 36 % de réponses positives, soit 11 points d’écart ! » Il rappelle aussi que « seuls 30 % des Français pensent que les races humaines n’existent paset que 8 % estiment encore qu’il y a des races supérieures à d’autres ». Ces chiffrent démontrent l’importance d’une mobilisation sur ces questions. La Licra a un rôle déterminant à y jouer.
Culture de déni
« Parler de racisme en entreprise c’est comme parler d’une maladie honteuse »
Précise Patrick Simon, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et co-auteur de l’ouvrage avec Dorothée Prud’homme (AFMD) et Anaïs Coulon (AFMD). En effet, dans l’entreprise, il règne une culture du déni de ces problèmes. Les managers feignent de ne pas voir et les victimes se taisent de peur de perdre leur emploi, de peur du jugement d’autrui, etc. « Si dans les ressources humaines la professionnalisation est en cours sur ces questions, du côté des managers ça évolue largement moins vite. Ces derniers sont peu formés à intervenir dans les cas de racisme », concède Patrick Simon. Il est également difficile d’identifier, dans certains cas, si on est face à du racisme ou à des discriminations. Notamment lorsqu’on se trouve sur le registre de l’humour : « Ce n’est pas du racisme, c’est une blague », peut-on entendre. Nommer les choses, ne pas avoir peur de s’engager auprès d’un collègue, victime de racisme et/ou de discriminations, sont des comportements qu’il faut systématiser. Également invitée à la conférence, Marie Dasylva, coach de vie en entreprise estime que « ce n’est pas seulement à la victime de dénoncer mais aussi aux collègues qui peuvent alerter et faire remonter l’information. Il y a un vrai manque de courage social dans les entreprises aujourd’hui ».
Les préconisations
Oser, mesurer, former, réagir et sanctionner sont les cinq mots d’ordre défendus par l’ouvrage. La France dispose d’un arsenal législatif bien fourni mais d’une part, il est important que l’entreprise puisse être en mesure de traiter le problème en interne et que, d’autre part, les dispositions légales soient appliquées. Actuellement, l’omerta règne. En ne regardant pas le problème en face on imagine qu’il disparaîtra. Comme le nuage de Tchernobyl qui s’arrête aux Alpes, le racisme ne franchirait pas la porte de l’entreprise… Le Défenseur des droits, Jacques Toubon a pris la parole pour conclure cette conférence : « Il n’existe pas de conscience d’entreprise et pas assez d’échanges sur ces sujets. […] Il faut pouvoir mesurer les discriminations, mener des études pour établir des états des lieux régulièrement, faire des testings que ce soit pour les salariés ou pour les stagiaires. Il nous faut lutter aussi contre le non-recours. Nous sommes dans une société qui a créé un système rendant invisible les situations de discriminations et de racisme. » Un ouvrage plutôt complet sur la question dont il faut se saisir de toute urgence.
Du racisme à la discrimination
« Nous sommes passés dans les années 1990 de l’appellation de “racisme” à celle de “discrimination”. Nous avons transféré la question. Cette évolution a été rejointe, dans les années 2000, par le développement de la diversité et le management de la diversité », précise Patrick Simon.