Dernier exemple en date, celui de l’éditorialiste Vittorio Feltri, fondateur du journal libéral milanais Libero connu pour sa tonalité populiste. Invité à réagir à l’annonce du gouverneur de la Campanie, Vincenzo De Luca, qui avait émis l’hypothèse de fermer les frontières régionales, si les régions du Nord devaient redémarrer leurs activités avant le calendrier officiel prévu par les mesures d’urgence, Feltri s’est empressé de répondre :
“J’ai de la sympathie pour De Luca, mais je voudrais lui demander s’il les ferme à l’entrée ou même à la sortie? Parce qu’il me semble que chaque année 14 000 Campaniens vont à Milan pour se faire soigner (…) Je pense qu’aucun d’entre nous ne veut déménager en Campanie. (…) Pourquoi devrions-nous déménager en Campanie? Pour quoi faire? Les préposés aux stationnements illégaux? (…) le fait que la Lombardie soit devenue moins attractive à cause du coronavirus a excité le cœur de nombreuses personnes nourries d’envie et de colère envers nous parce qu’elle subit une sorte de complexe d’infériorité. Je ne crois pas aux complexes de l’infériorité, je crois que les habitants du Sud sont dans bien des cas inférieurs».
Ces déclarations interviennent dans un contexte où le Nord de l’Italie a été particulièrement frappé par la crise sanitaire et où la Lombardie, la Vénétie et l’Émilie-Romagne ont été (et sont encore) l’épicentre de l’épidémie dans la péninsule italienne alors que le Sud du pays a été davantage épargné par la maladie. Les propos de Feltri ont provoqué un tollé parmi la classe politique italienne. L’Ordre des Journalistes a engagé une procédure disciplinaire et a annoncé qu’il « mandaterait un avocat » pour évaluer les dommages possibles à « l’image de toute la catégorie des journalistes italiens ». Le président du Conseil de l’Ordre des Journalistes a par ailleurs indiqué mettre en place des outils contre les discours de haine et qu’il « surveillera les émissions dans lesquelles, avec une plus grande fréquence ces derniers jours, des expressions pleines d’outrage ont été largement proférées et caractérisées par un langage discriminatoire ». L’écrivain Maurizio De Giovanni et le journaliste et sénateur Sandro Ruotolo ont décidé d’engager des poursuites civiles et pénales pour incitation à la haine sur la base des dispositions antiracistes de la loi Mancino. Par ailleurs, la municipalité de Naples a demandé au procureur général d’intervenir afin que les actions en justice puissent être engagées contre Feltri.
Pour sa défense, Feltri rejette les accusations de racisme : «Toutes ces controverses n’ont pas de sens, je ne voulais offenser personne, je viens de dire une vérité incontestable, à savoir que le Sud est économiquement inférieur au Nord. Point final. Si nous ne le reconnaissons pas, nous sommes des imbéciles. Hier à Giordano, j’ai simplement vu la réalité, avec une blague que quelqu’un a mal comprise, mais je ne comprends pas pourquoi ils veulent me faire passer pour ce que je ne suis pas … Arrêtons de victimiser. Il n’y a rien d’anthropologique. Je ne suis pas raciste, je ne suis pas anti-sudiste, bien au contraire. J’adore le dialecte napolitain, les chansons napolitaines, j’aime Naples, sa culture ».
Si ces dénégations, d’ailleurs fort maladroites, ont du mal à convaincre, c’est que Feltri est engagé politiquement avec des forces politiques ouvertement xénophobes et qu’il a été candidat malheureux à la Présidence de la République italienne, avec le soutien du mouvement d’extrême-droite « Frères d’Italie » de Giorgia Meloni et la Ligue du Nord de Matteo Salvini.
Ces déclarations montrent que les tensions liées à l’épidémies exacerbent les sentiments xénophobes, y compris à l’intérieur d’une nation et qu’ils nourrissent le repli identitaire dont les forces politiques populistes, très ancrées dans le Nord de l’Italie, comptent bien tirer profit pour affaiblir la coalition gouvernementale et revenir dans le jeu politique. Dans le Sud de l’Italie, on ne trouve plus le journal Libero de Vittorio Feltri, les kiosquiers ayant décidé d’entamer une grève de distribution citoyenne et un boycott.
Les Italiens réagissent avec vigueur, comme l’ordre des journalistes. Rien de tel chez nous, me semble-t-il avec Zemmour!