ActualitésAnalyseEn finir avec l’anonymat sur Internet

En finir avec l’anonymat sur Internet

Lors de sa visite dans le Lot dans le cadre du Grand Débat National, le Président de la République a annoncé être favorable à la « levée progressive de tout anonymat » sur Internet afin de « redonner une hygiène démocratique au statut de l’information ». 

Du point de vue de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, cette question est centrale.

Dans l’expression des discours de haine, il y a évidemment les idéologues, les bateleurs, les médiatiques qui écument leurs ignominies à visage découvert et peuplent les prétoires de leurs turpitudes. Mais il y a la face immergée de l’iceberg, cette cohorte anonyme qui empoisonne les réseaux sociaux et distille son rejet de l’autre commodément abritée derrière l’anonymat offert par les hébergeurs. En moins d’une minute, il vous est possible de créer sans donner votre identité à quiconque un compte Twitter au nom évocateur – « Mort aux Juifs » ou « Dehors les Bougnoules » – de prendre la photo d’Adolf Hitler comme photo de profil et de commencer à twitter.

Les comptes anonymes sont les instruments de la nouvelle barbarie numérique et rien, absolument rien, ne peut justifier que soit garantie une impunité totale, au dessus des lois de la République, qui n’est rien d’autre qu’un permis de haïr sans crainte de sanctions devenues impossibles. Sur les réseaux sociaux, l’anonymat a libéré les discours de haine raciste, antisémite, négationniste et homophobe.

L’anonymat, au-delà du fait qu’il est depuis des temps immémoriaux le creuset de la délation et de la lâcheté de vils sycophantes, est celui de la haine. Et la garantie aujourd’hui offerte de pouvoir tweeter des injures racistes ou antisémites en toute liberté n’est rien d’autre que l’écho numérique de la cagoule portée par les membres du Ku Klux Klan pour éviter de rendre compte de leurs crimes racistes devant la justice. Sans oublier les terroristes islamistes qui ont abusé de cette liberté offerte pour doper leur prosélytisme et recruter massivement.

A l’annonce faite par le Président de la République, on a assisté à une levée de boucliers pointant ce qui serait une atteinte à la liberté d’expression et à la protection qu’offrirait, dans certains cas, le caractère anonyme d’un propos.

Tout d’abord, la levée de l’anonymat ne consiste pas à brimer la créativité, à astreindre la liberté, à étouffer la parole. Il s’agit simplement de rendre accessible à une sanction pénale toute personne qui s’exprime sur Internet en contraignant les hébergeurs à répondre aux réquisitions de la justice.

Surtout, il y a au fond une question de principe.

Qui peut faire croire aujourd’hui qu’en France, en 2019, il serait nécessaire de se planquer anonymement pour s’exprimer librement ? Une démocratie sous pseudonyme n’est plus une démocratie. Qu’est-ce qui justifie l’anonymat si ce n’est le fait de ne pas assumer dans la lumière ce que l’on dit et écrit ? Effectivement, il est moins facile socialement de crier « sale arabe » ou « sale juif » dans la rue, à la vue de tous, que derrière l’abri offert par les outils numériques. Evidemment, il est moins facile d’assumer auprès de son voisin, de sa famille, de son employeur son racisme ou son antisémitisme que de se répandre nuitamment en propos haineux sur internet en ayant la certitude que personne ne viendra vous retrouver.

Aujourd’hui, en France, en 2019, aucune expression publique ne justifie d’échapper à l’application de nos lois par le fait qu’on ne saura jamais qui en est l’auteur. Dans d’autres pays, où les libertés publiques ne sont pas garanties, il est bien évident que la situation est différente : chacun peut en convenir. Les militants des libertés publiques menacés en Hongrie, en Russie ou au Vénézuela doivent évidemment être protégés dans des circonstances où leurs droits fondamentaux ne sont plus garantis et que toute expression publique peut lui être fatale.

Au plan technique, les hébergeurs peuvent parfaitement s’adapter aux circonstances, offrir dans les démocraties les moyens d’appliquer les lois contre les discours de haine et garantir aussi une protection aux individus menacés dans les régimes autoritaires. Il s’agit simplement d’une question de volonté politique. Il suffit de voir les compromis, pour ne pas dire les compromissions, de certains hébergeurs avec le régime chinois pour se rendre compte de la très grande adaptabilité des outils numériques aux circonstances.

Mario Stasi,
Président de la Licra

Agissons ensemble !

Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

3 Commentaires

  1. De un, personne n’est complètement anonyme sur Internet : celui qui tient des propos illégaux peut être identifié grâce à son adresse IP.

    De deux, on a le droit d’exprimer son opinion politique sans donner son nom, c’est d’ailleurs pour ça qu’on vote dans des isoloirs, et non à main levée.

  2. Qui peut faire croire aujourd’hui qu’en France, en 2019, il serait nécessaire de se planquer anonymement pour s’exprimer librement ?

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