En 2017, un candidat sur six s’est estimé discriminé. La lutte s’organise. Lentement. La bataille sera gagnée quand tous les chefs d’entreprise comprendront que leur intérêt est de sélectionner les meilleurs. Au-delà des stéréotypes inconscients.
Georges Dupuy
C’est l’histoire de Madame K., qui s’est présentée en 2017 à un entretien d’embauche en même temps que huit autres candidats. Lorsqu’elle a parlé, le patron lui a dit : « Madame, vous pouvez sortir car, avec votre accent, ça ne va pas du tout. » Des histoires comme celle-ci fournie par le service de l’Aide aux victimes de la Licra, toutes les organisations antiracistes en racontent des dizaines. Un arbre qui cache une forêt très touffue : selon le dixième baromètre du Défenseur des droits, moins d’une personne sur dix s’estimant discriminée à l’embauche porte plainte. Dans l’ensemble, selon l’Observatoire, les Français portent une vision négative des procédures de recrutement. Un sur deux pense que les discriminations au moment de la candidature sont fréquentes. Voire même très fréquentes. La réalité confirme cette sombre impression. Ainsi 15 % de la population active interrogée déclarent ainsi avoir été discriminés lors de la recherche d’un emploi. Très loin devant les refus d’entrée dans les boîtes de nuit, le contrôle d’identité ou la recherche d’un logement. Si l’âge et le sexe sont les premiers motifs ressentis de discrimination devant l’origine et la couleur de peau, la maternité, le handicap ou la religion, le baromètre insiste sur l’importance d’une approche inter-sectionnelle des discriminations. À l’embauche, être une femme enceinte et handicapée peut faire cumuler trois motifs de discrimination. Être en plus d’origine étrangère (africaine, en premier lieu) vient lourdement surcharger le bateau. On peut aussi remplacer enceinte par âgée ou obèse. Tout le monde n’a pas l’humour du chanteur Sammy Davis Junior qui expliquait : « Je suis vieux, noir, juif et borgne… Alors, je pense que si je suis populaire, c’est que je chante bien. »
« Il faut sanctionner les discriminations mais il faut surtout donner des motifs aux patrons pour bouger… »
Jean -Christophe Sciberras, président du groupe de dialogue sur la lutte contre les discriminations en entreprise.
Le testing par paire
Un testing par paire consiste à proposer pour un même emploi deux candidatures rigoureusement équivalentes en faisant varier le patronyme et le prénom dans le cas du testing de discrimination. En général, l’opération est effectuée une seule fois par entreprise. Selon Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations, pour être efficace, le testing devrait aussi introduire d’autres critères discriminants comme l’âge, le physique ou le sexe (source Dares)
Préférence « hexagonale »
En 2018, la sélection par l’origine – larvée ou ouverte comme dans cette entreprise qui avait constitué un dossier « Afriquin » pour les candidatures africaines – reste importante. Mêmes dans les grandes entreprises. Une enquête de la Dares effectuée en 2016 avait révélé que les recruteurs d’une quarantaine de poids lourds cibles d’un testing par paire (voir ci-contre) étaient le plus souvent intéressés par des candidats aux noms et prénoms à consonance « hexagonale » plutôt que « maghrébine », l’écart en défaveur de cette dernière catégorie pouvant atteindre jusqu’à 35 % pour les plus mauvais élèves.
« Laissez-nous faire entre nous »
Au-delà des chiffres, la discrimination à l’embauche ne menace pas moins que les principes républicains, l’intégration des minorités et la cohésion sociale. Pour sortir d’une réponse purement pénale, Manuel Valls a mis en place, en 2014, le Groupe de dialogue sur la lutte contre les discriminations dans l’emploi. Cette réunion de toutes les parties prenantes aurait été encore plus fructueuse si le patronat n’en n’avait pas claqué la porte. Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT, commente : « Au lieu d’apporter sa pierre, le Medef s’est bloqué sur une ligne “Laissez-nous faire entre nous” alors que tout doit être mis sur la place publique. » C’est dans cet état d’esprit qu’Emmanuel Macron a annoncé un testing des 120 plus grosses entreprises françaises. En menaçant de dénoncer publiquement les cancres comme l’avait fait Myriam El Khomri
« Les outils ne sont pas tout. L’essentiel est d’apprendre aux recruteurs à reconnaître leurs freins. »
Aline Crépin , ANDRH.
Vigilance
La sécession du Medef et de la CGPME n’a pas empêché l’État d’adopter 13 des 17 propositions faites par le groupe de réflexion en 2015. Celles-ci vont des actions de sensibilisation au recours à l’action de groupe incluse dans la loi « Justice du 21e siècle » de novembre 2016. Le ministère du Travail n’en a pas moins enterré le caractère obligatoire du CV anonyme de la loi de 2006. À la grande colère de la CGT et de la Fédération des maisons de potes qui parle de « collusion avec le Medef ». Cet outil n’avait pas cessé d’être débiné. Contre-productif pour Pôle emploi. Dépassé pour les DRH qui vantent, aujourd’hui, les vertus du CV vidéo. « Les outils ne sont pas tout, note Aline Crépin, animatrice de la commission “Égalité et diversité” de l’Association nationale des DRH, l’essentiel est d’apprendre aux recruteurs à reconnaître leurs freins et leurs stéréotypes. » D’autant que la plupart des recruteurs qui discriminent n’en ont pas conscience. « Même chez nous, à la CFDT, cela peut arriver », reconnaît Frédéric Sève. Il faut être vigilant. Aussi l’impératif de formation obligatoire à la non-discrimination des entreprises de plus de 300 salariés inscrite dans la loi « Égalité et citoyenneté » de janvier 2018 a-t-elle été bien accueillie.
Concurrence
« Une voie à suivre », souligne Crépin. Restent en effet à quai les 3 millions de TPE et de PME, de moins de 10 à 250 salariés, dont les responsables n’ont ni le temps ni les moyens ni la formation pour s’attaquer aux discriminations. Éric Cediey, directeur d’ISM Corum, tempère : « Cela ne coûte pas grand-chose à un patron de se dire que le problème peut se poser dans son entreprise, peut-être à son niveau, et de se faire une petite grille objective des compétences dont il a besoin et rien que des compétences. » C’est que le marché est sous tension. Marie-José Batlle, responsable du développement des activités institutionnelles et partenariales à l’Apec, pointe : « Les recrutements de cadres et de jeunes diplômés sont au plus haut et les entreprises Le en concurrence, qui ne peuvent pas se permettre de rater les meilleurs profils, doivent réviser leurs critères de sélection. » À l’heure où 400 000 offres d’emplois ne sont pas pourvues, l’analyse vaut aussi pour les moins diplômés. Jean-Christophe Sciberras, président du groupe de réflexion et DRH de Solvay France, responsable des relations sociales, explique : « Il faut sanctionner les discriminations avérées, c’est une question de morale, mais il faut surtout donner de bons motifs aux patrons pour bouger parce que c’est à eux que revient la décision finale. » Comme les 150 milliards (7 % du PIB) que coûterait chaque année la discrimination aux entreprises, selon France Stratégie. Comme ce que peut représenter pour ses investisseurs, ses clients et ses salariés l’effort fait par une entreprise pour obtenir le label Diversité (voir ci-dessous). Éric Cédiey de ISM.Corum en est certain : « Quand les entrepreneurs comprendront que c’est une vraie richesse que d’avoir des employés à l’image de la société, ce sera gagné. » On croise les doigts.
Le label Diversité
Propriété de l’État et délivré par l’Afnor, le label Diversité indique l’engagement effectif et volontaire d’un organisme pour promouvoir la diversité en prévenant les discriminations. Le cahier des charges à respecter va de la connaissance des risques de discrimination à l’assurance de l’efficacité des actions. Après rapport d’enquête contradictoire, la labellisation est accordée pour 4 ans avec une évaluation intermédiaire à mi-parcours (source Afnor).