Il y a 75 ans, à Auschwitz, en Pologne, l’Armée Rouge ouvrait les portes de l’Enfer et le monde découvrait la Shoah et le visage de l’Humanité défiguré par l’antisémitisme. Le monde découvrait la politique d’extermination des Juifs d’Europe par le régime hitlérien. Le monde découvrait que les nazis étaient passés des paroles aux actes, que l’ensauvagement des mots avait conduit, inéluctablement, à l’ensauvagement des actes et au crime des crimes.
Un tel crime n’arrive pas par hasard et ne se commet pas en une nuit. Il est le fruit, on le sait, d’une sédimentation de la haine et d’étapes qui, une fois franchies, les unes après les autres, des années durant, conduisent à une mécanique implacable dont le dernier rouage est la serrure de la porte de la chambre à gaz de Birkenau. Un tel crime advient par petites marches, par petits pas successifs, par petites trahisons, par petites lâchetés. La haine antisémite commence par des mots, des injures puis se nourrit de gestes, de stigmatisation, de spoliations, de discriminations avant de finir dans la violence et dans la volonté de détruire l’autre. Un tel crime advient parce que des hommes et des femmes ont été les maillons d’une chaine inhumaine qui crée un lien de complicité effroyable entre le sycophante antisémite dénonçant son voisin juif et le commandant du camp d’Auschwitz l’envoyant à la mort.
Nous sommes les dépositaires de cette mémoire et de cette histoire. Cette situation nous impose des devoirs envers l’Humanité.
Aujourd’hui, l’antisémitisme n’a pas disparu et s’est diversifié. Nombreux sont ceux qui ont toujours l’obsession des Juifs en partage. Extrême-droite, islamistes, indigénistes sont désormais les petits continuateurs de cette histoire macabre, enrobant leur détestation dans une confusion des mots et s’abritant derrière un antisionisme qui ne trompe plus personne.
Sur Internet, les discours de haine prospèrent sans crainte de sanction quasi impossible. L’antisémitisme est porté en sautoir sur certains comptes Twitter. C’est l’honneur de la France que d’avoir entamé, non sans difficultés, un travail de régulation des réseaux sociaux pour interrompre le flux quasi ininterrompu d’injures, de provocations à la haine, de négationnisme, de théories du complot. On entend ressurgir un discours habituel dès qu’il s’agit de s’attaquer à la haine, celui qui consiste à crier à la censure, à l’atteinte à la liberté d’expression. C’est sans doute la même disposition d’esprit qui avait conduit certains pacifistes durant les années 30 à applaudir Munich, à refuser de voir la menace dans un aveuglement qui les conduira, quelques mois plus tard, à Vichy et à cautionner le pire. Il faut savoir résister à cette tentation et à ces mauvais penchants. La liberté d’expression n’est pas un permis de port d’arme. Une opinion publique préparée et accoutumée aux discours de haine est une bombe à retardement.
Notre devoir principal et urgent, c’est celui de l’éducation. La mémoire de la Shoah ne doit pas être vaine. Cette mémoire est une force pour pénétrer les consciences, pour transmettre la réalité des faits et les conséquences irréparables de la haine des Juifs, pour dire la spécificité et l’unicité de la Shoah, pour faire résonner la parole des témoins parmi la jeunesse, pour immuniser notre Humanité contre le risque d’une récidive.
À Jérusalem, au côté du Président de la République, j’ai participé aujourd’hui aux commémorations organisées par le Mémorial de Yad Vashem. Au-delà de l’émotion, j’ai été frappé par la communion des nations, rassemblées au-delà de tout le reste, autour de la mémoire des suppliciés. En entrant dans le Mémorial des Juifs de France, précédé par Serge Klarsfeld, immense combattant de la mémoire, j’ai pensé à ce discours d’Elie Wiesel prononcé à Oslo en 1986 au moment de recevoir le Prix Nobel de la Paix :
« J’ai juré de ne jamais me taire quand des être humains endurent la souffrance et l’humiliation, où que ce soit. Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. »
Ce serment, il importe aujourd’hui de l’honorer chaque jour, dans chacun de nos actes, pour lutter contre les vieux démons qui toujours taraudent les âmes humaines.
Mario Stasi, Président de la Licra
Titre tiré de l’ouvrage « Éduquer contre Auschwitz » de l’historien Jean-François Forge.
Plus jamais ca