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“Celui qui se bat peut perdre, celui qui ne se bat pas a déjà perdu”, Bertolt Brecht

Naissance d’un artiste singulier

Bertolt Brecht naît, le 10 février 1898 en Bavière, au sein d’une famille bourgeoise, propriétaire et protestante. Il commencera à écrire très tôt (premier texte publié dès 1914) et entamera des études de philosophie, puis de médecine. En 1918, à vingt ans, il sera mobilisé, à la fin de la Grande Guerre, comme infirmier ; l’horreur de la guerre aura, comme pour les surréalistes français, une grande influence sur son oeuvre. La même année, il publiera Baal, sa première pièce de théâtre, dans un style libertaire et lyrique qu’il délaissera par la suite, ainsi que quelques écrits pacifistes pour la presse locale, rompant dans le même temps avec sa famille. Suivront les pièces Tambours dans la nuit en 1919, qui lui vaudra le prix Kleist en 1922, et Dans la jungle des villes.

En 1923, il sera engagé comme conseiller littéraire à Munich, puis à Berlin, en 1924, où il rejoint le Deutsches Theater de Max Reinhardt, avec l’actrice Helene Weigel, qui monte ses pièces. La même année, Elisabeth Hauptmann devient sa collaboratrice. La même année, en 1927, viendront ensuite Homme pour homme et Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, deux pièces qui provoqueront quelques polémiques. En 1928, la création de L’Opéra de quat’sous, est un des plus grands succès théâtraux de la république de Weimar qui, grâce à un malentendu, lui assure une renommée internationale .

Farouche opposant au nazisme

Dès 1930, les nazis commenceront à interrompre, avec véhémence, les représentations des pièces de Brecht. En effet, depuis la seconde moitié des années 1920, Brecht sera très favorable au marxisme. L’arrivée au pouvoir des nazis le forceront donc à quitter l’Allemagne avec Helene Weigel, qu’il aura épousée en avril 1929, après la perquisition de leur domicile. L’œuvre de Brecht sera interdite, et brûlée lors de l’autodafé du 10 mai de la même année. Après quelques pérégrinations à traver l’Europe, en juin 1933, il s’installera au Danemark; il y continuera d’écrire, et rencontrera des amis, dont Hanns Eisler, Karl Korsch, et Walter Benjamin.

Affiche de Les bourreaux meurent aussi, sorti en 1943. Le film raconte l’histoire de l’assassinat du chef nazi Heydrich (l’opération Anthropoid) sous forme de fiction. Unique scénario de Bertolt Brecht pour le cinéma d’Hollywood.

En 1935, le régime nazi le privera de sa nationalité allemande ; il participera la même année au Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, à Paris, dirigeant conjointement avec Lion Feuchtwanger et Willi Bredel, la rédaction d’une revue intitulée “Das Wort” dont le premier numéro paraîtra en 1936 ; le but de celle-ci aura été d’unir l’intelligentsia antifasciste d’Allemagne autour d’un idéal commun. Forcé à fuir à nouveau en 1939, il s’installera en Suède, en Finlande, puis finalement en Californie dès 1941. Durant cette période, il écrira une grande partie de son œuvre dont La Vie de Galilée, Mère Courage et ses enfants, La Bonne Âme du Se-Tchouan, La Résistible Ascension d’Arturo Ui (attaque contre Hitler), Le Cercle de craie caucasien et Petit Organon pour le théâtre, dans laquelle il exprimera sa théorie du théâtre épique et de la distanciation. Parallèlement, il travaillera également à Hollywood, où il écrira le scénario du film antinazi Les bourreaux meurent aussi, qui fut réalisé par Fritz Lang en 1943.

Brecht, ou l’apatride

Un temps mis sur liste noire durant la période du maccarthysme, il accepte de témoigner devant l’HUAC, se désolidarisant des 10 premiers témoins qui se protégeaient derrière le 1er amendement. Le lendemain de son passage devant la commission, soit le 31 octobre 1947, remercié pour sa coopération, il s’envolera pour Paris puis se rendra en Suisse, où il vivra une année. En octobre 1948, il se rend, à l’invitation du Kulturbund pour le renouveau démocratique de l’Allemagne, à Berlin. Les Alliés lui refusant le visa qui lui aurait permis de s’installer en RFA, il pourra rejoindre la RDA grâce aux Tchèques. En 1949, il s’installera définitivement à Berlin-Est et fondera, avec son épouse Helene Weigel, le Berliner Ensemble, où il approfondira sa réflexion sur le théâtre épique, dans le prolongement du théâtre documentaire d’Erwin Piscator qu’il oriente autour de l’effet de distanciation (s’opposant à la tradition d’un théâtre dramatique d’identification). Toutefois, les autorités de la RDA critiqueront son esthétique théâtrale, ne cadrant pas avec le conception du réalisme socialiste, et lui reprocheront d’être trop « formaliste », « cosmopolite » et « pacifiste » ; les pièces pècheraient par l’absence de héros ouvriers positifs. Apatride depuis 1935, Brecht obtiendra la nationalité autrichienne en 1950, sans toutefois quitter la RDA. 

Berlin Réunion du comité préparatoire de l’Académie des Arts de la RDA, le 21 mars 1950, à laquelle ont Bertold Brecht (à droite) et le compositeur Hanns Eisler.
Le 7 octobre 1951, Brecht reçoit le Prix national de la République démocratique allemande.

Aussi, quand, le 17 juin 1953, les ouvriers est-allemands vinrent manifester en masse à Berlin (contre la médiocrité de leur niveau de vie, la forte augmentation des objectifs de travail et le mauvais fonctionnement des infrastructures), Brecht fit parvenir à Walter Ulbricht une lettre où il exprimait sa « solidarité avec le Parti socialiste unifié d’Allemagne ». Le même jour, il adressa d’autres messages de solidarité à Vladimir Semionovitsch Semionov, Otto Grotewohl ainsi qu’à Gustav Just. Brecht voyait la cause des grèves dans la tentative du gouvernement « d’accroître la production en augmentant les normes de rendement sans contrepartie appropriée ». On a instrumentalisé les artistes pour en faire des propagandistes de ce projet.

Brecht voyait comme solution alternative un changement réel de la sphère de production. Après avoir proclamé son orthodoxie dans une introduction où il dénonçait l’abus des manifestations « à des fins bellicistes », il réclamait une nouvelle fois une « grande discussion » avec les ouvriers, « qui ont fait savoir un mécontentement légitime ». En octobre 1953, Brecht communiqua aux journalistes de RFA la lettre complète envoyée à Walter Ulbricht, et y fit publier « Urgence d’un grand débat ».

Ronald Gray retrouvait dans le comportement de Brecht le personnage de Galileo Galilei que Brecht lui-même avait introduit dans la littérature : l’adaptation verbale au régime, à la manière d’un caméléon, lui permettait de sauvegarder ses intérêts matériels. 

Fin de parcours

Dans sa réflexion poétique sur les événements, Brecht a pris en juillet et août 1953 une attitude nettement plus distante face au gouvernement de RDA que celle qu’il avait exprimée dans les élégies Buckower Elegien, entre autres dans le poème Die Lösung. La discussion que Brecht avait souhaitée ne s’était pas réalisée ; il se retira alors des débats suivants devenus stériles. De juillet à septembre 1953, Brecht travailla surtout à Buckow aux poèmes des Buckower Elegien et à la pièce Turandot ou le congrès de blanchisseurs. À l’époque, Brecht éprouvait aussi plusieurs crises en rapport avec ses liaisons amoureuses qui ne cessaient de changer. Ruth Berlau, sa compagne fidèle depuis bien des années, se révélait de plus en plus pour Brecht comme une charge, d’autant plus qu’elle aussi ne réalisait que sporadiquement son travail pour le Berliner Ensemble.

Avec l’arrivée au ministère de la Culture de Johannes R. Becher en janvier 1954, Brecht sera admis dans le conseil consultatif artistique, et en juin nommé vice-président de l’Académie des arts de Berlin. En décembre 1954, Brecht est proposé pour le prix Staline international pour la paix, qu’il recevra à Moscou en 1955.

Il meurt d’un infarctus le 14 août 1956, à l’âge de 58 ans ; sa tombe d’honneur se situe au cimetière de Dorotheenstadt, à Berlin.

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Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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