Par Abraham BENGIO, Président de la Commission Culture de la Licra / Dessin de Ghilas Aïnouche
Ce matin, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné par le tribunal correctionnel de Dar El Beida, près d’Alger, à cinq ans de prison ferme et à 500 000 dinars (soit environ 3 500 €) d’amende.
Le moins qu’on puisse dire est que la condamnation de Boualem Sansal par un tribunal aux ordres du pouvoir algérien n’est pas une surprise. Arbitrairement détenu depuis plus de quatre mois, malgré son âge – quatre-vingts ans – et son état de santé – il souffre d’un cancer de la prostate – l’auteur du Serment des barbares et du Village de l’Allemands’est vu privé de ses droits les plus élémentaires. Son avocat, Me François Zimeray, ancien ambassadeur de France, n’aura jamais pu lui rendre visite : ses demandes répétées de visa sont demeurées sans réponse ; le gouvernement algérien, dans son hystérie antisémite, a même dépêché des émissaires à Boualem Sansal pour lui suggérer de prendre un avocat « non-juif » ! Les autorités consulaires françaises n’ont pas été autorisées à rencontrer notre illustre compatriote.
Les accusations dont il a fait l’objet (« atteinte à l’unité nationale », « atteinte à l’économie nationale », « détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité nationales » etc.) seraient risibles si elles n’étaient aussi graves. Ce qui déplait en réalité à l’autocratie algérienne, c’est que Boualem Sansal soit un écrivain aussi talentueux et courageux que libre dans ses propos. Il n’a cessé dans ses nombreux ouvrages de dénoncer la dictature algérienne, sa haine des juifs et d’Israël, la corruption généralisée qui règne dans ce pays, le fanatisme sanguinaire des islamistes, l’entrisme frériste dans nos quartiers… « On n’emprisonne pas Voltaire ! » avait dit le général de Gaulle à propos de Jean-Paul Sartre. Il semble que cette maxime n’ait pas cours de l’autre côté de la Méditerranée.
Y a-t-il cependant des raisons d’espérer ? On peut observer d’abord que la peine prononcée ne représente que la moitié de celle qui avait été réclamée par le procureur à la botte du pouvoir, ce que l’on ne peut attribuer à une quelconque « clémence » du tribunal, dont la marge d’autonomie par rapport aux dictats du gouvernement algérien est nulle. On remarque encore que le chef d’accusation le plus grave qui lui avait été signifié, l’accusation d’ « intelligence avec l’ennemi » (qui fait référence au soutien apporté par l’écrivain à la marocanité du Sahara occidental) n’a curieusement pas été retenu. Cela pourrait-il signifier, comme nous sommes nombreux à l’espérer, que l’action diplomatique de la France et les protestations qui montent de toutes parts en France et en Europe commencent à porter leurs fruits et que le gouvernement algérien s’apprête à le gracier, par exemple à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du mois de ramadan ? Comme dans le cas d’Alfred Dreyfus, on a condamné un innocent en la personne de Boualem Sansal. Et si Boualem Sansal renonce à interjeter appel, ce sera peut-être, comme dans le cas du capitaine, une grâce – concept absurde en l’occurrence puisqu’il n’y a rien à gracier – qui permettra de le sortir de prison.
Mais le temps presse si l’on veut éviter, compte tenu de l’âge et de l’état de santé de l’écrivain, que cette peine de prison ne se transforme en réalité en peine capitale.
C’est pourquoi nous ne devons pas relâcher la pression. La Licra, qui a nommé Boualem Sansal membre d’honneur de l’association, à l’unanimité de son Conseil fédéral, aussitôt connue son arrestation, joint son cri à celui de tous ceux qui exhortent nos élus, nos médias et tous ceux dont la voix porte, à exiger la libération immédiate de notre ami Boualem Sansal.
