Le jeudi 13 octobre 2022, Beate et Serge Klarsfeld ont reçu la médaille de la ville de Perpignan des mains de son maire, Louis Aliot, membre du bureau national du Rassemblement national et vice-président de cette formation politique. Ce jour-là, les époux Klarsfeld participaient à l’inauguration du local de l’association Zakhor Pour la mémoire.
Parmi les missions de cette association figure l’orientation suivante : « Lutter contre toutes atteintes à la mémoire des victimes de la Shoah et notamment contre les actes négationnistes, révisionnistes, antisémites et racistes. » Elle résume à elle seule l’œuvre immense accomplie par les Klarsfeld au cours de leur existence, pour retrouver, à travers le monde, les coupables de l’entreprise d’extermination que fut la Shoah et les traduire devant la justice, pour identifier leurs victimes et leur rendre hommage, apposer des plaques commémoratives à la mémoire des enfants dans les établissements scolaires de France, établir constamment la vérité historique, publier les archives des crimes ou encore déterminer le rôle et la responsabilité même de notre pays dans la tragédie.
Révisionnisme et absolution
Dès le début des années 1970, la Licra (alors « Lica », Ligue internationale contre l’antisémitisme), son président Jean Pierre-Bloch et ses jeunes militants, furent aux côtés de Beate et Serge Klarsfeld dans leurs efforts acharnés pour que les criminels nazis et les collaborateurs soient dénoncés et conduits devant les tribunaux. Ils furent à leurs côtés, comme ce 8 janvier 1972, où Beate et Serge, porteurs d’une étoile jaune, étaient présents aux obsèques de Xavier Vallat, ancien commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy. Il s’agissait de ne pas laisser les responsables des persécutions antijuives et leurs amis politiques disparaître dans l’anonymat et le silence.
Ces « amis politiques », ancien Waffen-SS comme Pierre Bousquet, ancien membre de la milice comme François Brigneau, ancien membre de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) comme Roger Holeindre ou encore négationniste comme François Duprat, furent à l’origine de la création du Front national, en octobre 1972.
Par la suite, les époux Klarsfeld combattirent le Front national et son président Jean-Marie Le Pen, ses multiples « dérapages » antisémites et négationnistes, puis le Rassemblement national. Au moment de l’élection présidentielle de 2017 et de la candidature de Marine Le Pen, les Klarsfeld et leur fils Arno publièrent une photographie des barbelés d’Auschwitz barrée du slogan « Le FN en 2017 ? Non jamais. Contre le Pen – votez Macron ».
Il y a quelques jours, à l’occasion des 50 ans de la fondation du Front national, Jordan Bardella, président du Rassemblement national, a applaudi dans un tweet « 50 ans de vie démocratique et républicaine » (5 octobre 2022). Marine Le Pen, quant à elle, a rendu hommage « à tous les militants, qui depuis 50 ans, ont œuvré pour la cause nationale ». Tous les militants. Tous. Révisionnisme et absolution.
Nous ne comprenons pas
Nous ne comprenons pas que Beate et Serge Klarsfeld, infatigables combattants de la mémoire et de la justice, n’aient pas résisté à l’entreprise de blanchissage d’un parti dont les racines sont pourries.
Nous ne comprenons pas que les chasseurs de nazis ne se soient pas souvenus de la présence, au Bureau national du RN, de Bruno Gollnisch, ami du négationniste Dieudonné.
Nous ne comprenons pas que ceux qui ont consacré leur vie à la lutte contre l’antisémitisme ferment les yeux sur l’écosystème politique d’un parti dont 36% des sympathisants affirment croire en l’existence d’un « complot sioniste à l’échelle mondiale[1] » et où les incidents racistes, mêlant des militants, sont récurrents.
Nous ne le comprenons pas mais nous saisissons ce que signifie cette rencontre contre-nature dans l’entreprise de dédiabolisation du RN-FN : une prise de guerre hautement symbolique.
La Licra ne peut s’y résigner. « Nous avons appris par l’expérience vécue que nous étions capables de nous hisser au-dessus de nous-mêmes », écrivaient Beate et Serge Klarsfeld en conclusion de leur Mémoires en 2015. Cette leçon, qui est le fruit d’une vie de combats, ne peut souffrir d’altération ou de reniement. Il est indispensable que ces grands défenseurs de la mémoire ne l’oublient pas.
[1] Enquête sur le complotisme, Conspiracy Watch/Fondation Jean-Jaurès/Ifop, 2019.