Pour Martine Rubenstein (Licra de New York), les actes antisémites en nette augmentation aux États-Unis sont la conséquence de la rhétorique violente, identitaire et méprisante assénée par Donald Trump depuis 2016.
C’était samedi dernier, dans le quartier de Squirrel Hill, à Pittsburgh. Les fidèles étaient réunis pour l’office du Shabbat au matin, se réjouissant de la venue au monde d’un nouveau-né dans la communauté de la synagogue Tree of Life (Arbre de Vie). Le quartier, tranquille, accueille depuis 150 ans la plus grande communauté juive de la ville. Aux cérémonies du samedi matin, les trois synagogues voisines attirent une partie des familles de Squirrel Hill ; pourtant, ce 27 octobre, seuls les quelques membres les plus assidus et âgés étaient présents. Au moment où l’assemblée célèbre l’attribution d’un nom hébraïque à l’enfant, un homme de 46 ans, Rob Bowers, entre dans la synagogue et ouvre le feu. Onze personnes meurent sous les balles de ce suprémaciste blanc, prenant pour cible ceux qu’il considère comme « les enfants de Satan », ainsi que l’HIAS, une association juive venant en aide aux personnes réfugiées ainsi qu’aux immigrées. C’est un attentat, un crime terroriste, qui a visé ces personnes, parce que juives.
Le plus terrible, derrière ce drame, ce sont ses raisons. Doit-on penser que l’arrestation d’un suprémaciste blanc dans l’affaire des colis piégés envoyés à des personnalités démocrates, dont l’homme d’affaires juif George Soros, et cette innommable tuerie la même semaine sont de simples coïncidences ? Ou bien doit-on admettre que la frange la plus violente et extrême des suprémacistes américains n’a plus peur de rien, biberonnée à la rhétorique agressive du président Donald Trump ? Nous avons posé la question à Martine Rubenstein, présidente de l’antenne de New York de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).
Comment réagit la communauté juive américaine face à ce drame ?
La communauté se réunit, elle est en deuil. Si les Juifs américains étaient relativement épargnés par les crimes antisémites, nous constatons depuis deux ans, soit depuis l’élection de Donald Trump, une nette augmentation des actes antisémites (de 34 % entre 2015 et 2016, de 57 % en 2017). Ces derniers étaient le plus souvent des faits de harcèlement sans violences physiques, causés par des suprémacistes blancs marginaux. Or ces suprémacistes blancs ne sont plus un groupe marginal aux États-Unis : ils répondent à l’appel du président Trump encourageant dans ses discours la violence identitaire, le mépris de l’autre. La communauté juive paie le prix de cette rhétorique agressive, portée par le représentant politique favori de ces groupes racistes aux États-Unis ; désormais, les Juifs d’Amérique doivent être plus alertes concernant les raisons de la haine.
Comment expliquer la recrudescence des actes antisémites depuis l’élection de Donald Trump, pourtant pro-Israël et dont la fille s’est convertie au judaïsme ?
Les États-Unis sont une nation d’immigration. Avec de la bonne volonté, tous s’intègrent. Les musulmans américains, n’étant pas dans les mêmes configurations d’immigration qu’en Europe, sont proches et solidaires des Juifs. Néanmoins, avec la rhétorique violente à laquelle nous devons nous habituer depuis la campagne de 2016, la perception des opinions de haine n’est plus la même : les discours racistes, misogynes et antisémites sont décompléxés, se faisant les échos d’un Trump dont les éléments de langage et le refus de condamner la frange la plus extrême de son électorat créent un climat hostile pour les minorités. Il déshumanise les immigrés et les musulmans, il diabolise les démocrates. La peur de l’autre et la haine sont omniprésents dans ses propos comme dans ceux de ses supporters. Depuis le drame de Pittsburgh, Trump appelle à l’union nationale ; mais comment appeler à l’union maintenant, alors que tous ses discours depuis la campagne présidentielle de 2016 appellent à la division et à la colère ? Lui qui renvoyait dos-à-dos militants démocrates et suprémacistes racistes ?
Comment expliquer que les crimes antisémites comptent parmi les crimes de haine les plus courants aux Etats-Unis alors que la population juive représente moins de 2% de la population américaine ?
Les actes antisémites aux États-Unis ne sont pas l’œuvre d’antisionistes, mais de suprémacistes blancs, qui s’en prennent aussi aux Noirs. Les Juifs furent de tout temps des cibles privilégiées parce qu’ils représentent à la fois une population immigrée et dans le même temps sont associés à une élite puissante dans la mythologie antisémite. Par ailleurs, notons que le tueur de Pittsburgh ciblait aussi une association juive venant en aide aux personnes immigrées. Il est issu de toute une mouvance suprémaciste fortement inspirée de l’hitlérisme et des représentations des Juifs qu’il véhicule : la domination et la puissance hégémonique fantasmée, associée à une grande richesse. Donnons un exemple clair : lors des manifestations de Charlottesville, en août 2017, pendant lesquelles un suprémaciste blanc a tué une militante démocrate, les manifestants néo-nazis scandaient des chants non seulement racistes et antisémites, mais aussi des chants nazis allemands.
Y a-t-il un antisémitisme spécifiquement américain ?
Je ne le pense pas. En revanche, l’intensité du rôle d’internet dans la mise en place de la culture d’extrême-droite me semble spécifiquement américaine. Les États-Unis n’ont longtemps pas eu les difficultés de l’Europe avec une certaine forme d’antisémitisme issue de l’exportation du conflit israélo-palestinien ; de même que dans les pays européens, on rencontre bien plus rarement des rhétoriques agressives dans le style de Donald Trump. Internet est, aux États-Unis, le lieu d’expression de toutes ces haines : de nombreux sites, des réseaux sociaux permettent à des anonymes de tenir des propos d’une grande brutalité.
De plus, le profil de la population juive aux États-Unis a évolué : auparavant perçus comme une minorité, les Juifs sont désormais assimilés à la population blanche privilégiée. Ainsi, des organisations antiracistes se sont mis à pointer du doigt les Juifs américains en tant que privilégiés, et les fustigent sur la question du conflit israélo-palestinien. Alors que dans les faits, nombre de Juifs américains sont solidaires des souffrances des Palestiniens et critiquent la politique de Benyamin Netanyahu ! Ces associations antiracistes présentes dans les universités, mobilisées dans la campagne « BDS » pour le boycott des produits israéliens, ont créé un contexte hostile pour les étudiants juifs, pourtant eux aussi acquis à la cause antiraciste. Le plus terrible, si cette tendance se poursuivait, serait de faire des Juifs une minorité isolée face aux autres minorités.