L’agriculteur est renvoyé devant la cour d’appel de Lyon. Il avait été arrêté en gare de Cannes en compagnie de demandeurs d’asile le 23 juillet 2017.
Par Luc Leroux
Figure symbolique de l’aide aux migrants à la frontière franco-italienne dans les Alpes-Maritimes, Cédric Herrou, 39 ans, sera rejugé par la cour d’appel de Lyon. La condamnation de cet agriculteur à quatre mois de prison avec sursis pour avoir porté assistance à quelque 200 Soudanais et Erythréens en 2016 a été partiellement annulée, mercredi 12 décembre, par la Cour de cassation. Pour la première fois, la justice prend ainsi acte du « principe de fraternité » consacré le 6 juillet par le Conseil constitutionnel. Cette décision s’est traduite, dans la loi asile et immigration du 10 septembre 2018, par une rédaction plus extensive de l’article 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), article ayant trait à l’exemption des poursuites pénales lorsque l’aide a été apportée dans un but humanitaire.
« Nous avons été entendus après deux ans de procès agités », s’est réjoui Cédric Herrou, soumis à une douche écossaise de décisions de justice. En le condamnant, le 10 février 2017, pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’étrangers en France, à une amende de 3 000 euros avec sursis, le tribunal correctionnel de Nice avait tenu compte des motivations qu’il invoquait. L’exploitant d’oliveraies à Breil-sur-Roya était également relaxé pour avoir installé 59 migrants, dont des mineurs, dans une ancienne colonie de vacances de la SNCF, désaffectée depuis 1991. Pour cette seconde infraction d’installation sans autorisation sur le terrain d‘autrui, le tribunal avait retenu l’état de nécessité.
« Aucune contrepartie »
Le 8 août, la cour d’appel d’Aix-en-Provence annulait ce jugement clément pour infliger quatre mois de prison avec sursis à l’agriculteur qui assurait n’avoir agi que pour « alerter sur le fait que les mineurs isolés n’étaient pas pris en charge et pour que les majeurs puissent avoir accès à la plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile ». Les juges d’appel refusaient à Cédric Herrou les exemptions aux poursuites pénales prévues par la loi au motif que ses « actions s’inscrivaient dans une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration ». Il était par ailleurs condamné pour l’occupation des locaux de la SNCF et à verser à celle-ci 1 000 euros de dommages et intérêts.
Cédric Herrou doit donc être rejugé à la lumière de la nouvelle rédaction de l’article 622-4 du Ceseda qui exonère de poursuites pénales « lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ». L’ancien article était beaucoup plus restrictif, l’aide devant viser « à préserver la dignité ou l’intégrité physique » de l’étranger. Pour Me Patrice Spinosi, défenseur de Cédric Herrou, cette nouvelle « exemption humanitaire doit conduire à la relaxe ».
« Avec cœur et sincérité »
La Cour de cassation a également annulé la condamnation à deux mois de prison avec sursis de Pierre-Alain Mannoni, un universitaire niçois. Ce chercheur en écologie marine avait été contrôlé, en octobre 2016, au péage autoroutier de La Turbie alors qu’il transportait trois Erythréennes blessées pour les héberger dans l’attente de prendre un train à destination de Marseille afin d’y être soignées à l’hôpital. « Il est bien évidemment très satisfait de cette décision de la Cour de cassation même s’il doit se préparer à devoir de nouveau comparaître », indique son avocate Me Maeva Binimelis. Il redira qu’il n’a fait que défendre ses valeurs et a agi avec cœur et sincérité. » M. Mannoni avait été relaxé en première instance puis condamné à Aix-en-Provence.
Si le Conseil constitutionnel a retenu une exonération des poursuites pénales en raison d’une aide humanitaire apportée sans contrepartie, elle ne vaut que pour l’aide au séjour et à la circulation d’un étranger mais ne s’applique pas à l’aide à l’entrée sur le territoire national. Or, Cédric Herrou a reconnu s’être rendu régulièrement à Vintimille, de l’autre côté de la frontière, pour prendre en charge des migrants afin de les conduire à son domicile ou dans le centre d’accueil organisé dans les locaux désaffectés de la SNCF afin de leur offrir un hébergement décent et une aide alimentaire fournie par les habitants de la vallée de la Roya.
Cédric Herrou a par ailleurs été mis en examen en juillet 2017 par un juge d’instruction de Grasse (Alpes-Maritimes) après avoir été interpellé à la gare de Cannes avec des demandeurs d’asile qu’il aidait à prendre le train. Son contrôle judiciaire a été assoupli en août. L’agriculteur peut désormais circuler en Italie pour les besoins de son exploitation oléicole. « En nous appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel, une requête en vue de revoir sa mise en examen va être déposée », annonce son défenseur Me Bruno Rebstock.