Dans ce texte publié dans Le Droit de Vivre en février 1976, Ernest Marcellin, directeur de Flash Antilles-Guyane, aborde la question du racisme qui touche en Métropole les Français originaires des Antilles.
« La permanence du flux migratoire des Antilles-Guyane vers la Métropole ne peut se traduire, compte tenu de la conjoncture que :
1) par une marginalisation croissante des migrants et son corollaire, le développement de la délinquance urbaine sous toutes ses formes.
2) par un ostracisme du milieu d’accueil de plus en plus visible contre tout apport exogène.
Le migrant « nouveau venu » sera d’autant plus vulnérable qu’il n’aura pas été préparé psychologiquement à ce monde technique dans lequel il est appelé à s’intégrer.
Ce racisme auquel les originaires d’outre-mer se trouvent confrontés revêt en fait deux dimensions connexes.
C’est tout d’abord la pigmentation de la peau qui rappelle le passé récent du « nègre-marchandise » venu d’Afrique et expédié vers le Nouveau Monde. La dépréciation de l’autre et la surestimation de soi conduisent alors une fraction important de la population à une attitude xénophobe imprégnée d’un racisme larvé – bien que tout le monde se défendra, bien sûr, d’être raciste.
C’est ensuite, la ségrégation sociale. Il est bien connu que dans le cadre de la division du travail, le migrant a vocation presque naturelle dirons-nous, pour les travaux les plus dépréciés socialement : femmes de chambre dans les hôpitaux, employés des centres de tri aux PTT, etc.
On doit constater, d’autre part, que si, dans l’après-guerre, on pouvait devenir facilement la position sociale d’un individu rencontré dans un lieu public et lui apposer une étiquette : ouvrier, paysan, cadre, etc. aujourd’hui, avec l’uniformisation vestimentaire, ce n’est plus guère possible. Tandis que le migrant, lui, quelle que soit sa fonction, sera systématiquement assimilé à ce subalterne de toujours.
Signalons à cet égard, la pollution des « mass-média » par des préjugés d’ordre raciste. Si l’on fait abstraction de certains journaux d’adultes notoirement connus pour leur haine viscérale de tout ce qui est « étranger » et si nous considérons, par exemple, les magazines d’enfants, les films à la télévision, que constatons-nous ?
C’est l’Indien, ce méchant sauvage qui attaque toujours et qui, finalement, sera toujours vaincu. Ou encore c’est le noir d’Afrique, très souvent identifié au primitif, proche des animaux, dont la seule vertu est d’exhiber son derrière au rythme des tam-tam. C’est donc tout un environnement qui fait violence à ceux qui ne sont pas tout-à-fait comme les autres, et l’une des conséquences les plus fâcheuses en est que l’on inculque à l’enfant, dès son plus jeune âge, des préjugés, des clichés standardisés.
On comprend, dès lors, le rôle essentiel qui incombe aux parents et à l’école : protection de ces petits êtres contre un environnement nocif et rétrograde. D’ailleurs, est-il exagéré de considérer comme un postulat le fait que l’homme vivant dans une société très hiérarchisée et soumis en permanence aux effets pernicieux d’une telle atmosphère, éprouve inéluctablement le besoin, lorsqu’il se situe au niveau le plus bas de la hiérarchie socioprofessionnelle, de créer un échelon fictif qui le situe forcément au-dessus de quelqu’un qui, en l’occurrence, ne pourra être que son camarade immigré ?
Signalons, en passant, un domaine qui ne nous somme guère exploré encore, celui de la relation entre racisme et efficience économique. Un agent hautement compétent est parfois écarté d’un poste à cause de sa religion, ou de la couleur de sa peau. Il ne sera pas toujours remplacé par un autre aussi qualifié.
Souvent, il sera exclu a priori, au niveau même de l’embauche : « pas de 97 » et tout le monde sait ce que cela veut dire.
Par ces quelques lignes, nous avons voulu montrer que le racisme dans ses formes les plus subtiles, plonge ses racines dans des considérations d’ordre économique et social. Mais que paradoxalement, tout minorité quel que soit le système économique dans lequel elle s’insère, est souvent victime de brimades et d’ailleurs, même si cette minorité n’existait pas, ne l’aurait-on pas inventée ?
Si tout le monde semble d’accord sur le fait que l’antisémitisme et le racisme à l’encontre des hommes de couleur sont des formes de discrimination fondamentalement différentes, force est de constater qu’ils se rejoignent quant aux caractères odieux et inadmissibles de leurs effets. Une telle constatation implique donc une réflexion commune sur les méthodes d’action appropriées à mener à différents niveaux, et particulièrement à celui de l’information et de la prévention.
Ces actions conjuguées auront pour objectif de démontrer et de convaincre que la communauté française, par sa diversité sur les plans ethniques, religieux, spatial, ne peut que se compléter et s’enrichir mutuellement. Pour conclure, formons le vœu qu’à un moment où toutes les formations politiques se penchent sur le contenu du concept de LIBERTÉ, une place privilégiée soit accordée à la lutte contre la discrimination sous toutes ses formes car il ne peut y avoir que parodie de LIBERTÉ dans une société qui tolérerait explicitement ou implicitement des manifestations racistes. »