Né en 1915 à Juillac (Corrèze), André Monteil, normalien et agrégé de l’Université, s’engage dans la Résistance sous l’Occupation. Il agit au sein du Mouvement Libération Nord et commande les Forces françaises de l’intérieur (FFI) de la ville de Quimper (Finistère). Élu des deux Assemblées nationales constituantes à la Libération puis de l’Assemblée nationale, en tant que député MRP du Finistère (1946-1958), il est nommé à diverses fonctions gouvernementales dont celle de ministre de la Santé publique du gouvernement de Pierre Mendès France (1954-1955). Sénateur de 1959 à 1971 (groupe Union centriste, il préside la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat (1968-1971). Il est par ailleurs maire de Quimper de 1954 à 1959.
Engagé dans la lutte contre l’antisémitisme, André Monteil rejoint le comité central de la LICA en 1969 et participe à ses travaux pendant plus de vingt ans. Vice-président de cette association, il préside par ailleurs l’Alliance France-Israël. Il est décédé en 1998.
Dans cette tribune parue dans Le Droit de Vivre, en novembre 1980, il analyse la parenté étroite entre antisionisme et antisémitisme, et critique certains aspects de la politique étrangère de la France.
“Avant toute chose, je voudrais rassurer les analystes subtils et délicats. Pas plus qu’eux-mêmes, je ne confonds les concepts. En théorie et en thèse, il est vrai que judaïsme et sionisme ne se confondent pas. On peut être juif, c’est-à-dire, se rattacher à une certaine foi religieuse, ou, simplement, se référer à une culture et une histoire particulières, et néanmoins se sentir pleinement intégré dans la communauté nationale et n’avoir nulle envie de troquer sa citoyenneté pour une autre. Être sioniste, en revanche, c’est estimer que l’homme juif ne peut exprimer pleinement son appartenance au judaïsme et trouver la sécurité que dans une patrie charnelle et un État, l’État d’Israël. En ce sens, le sionisme n’est pas une idéologie de style néo-colonisaliste, comme le soutiennent ses adversaires, mais tout simplement un mouvement de libération national du peuple juif, la volonté légitime de reconstruire sur la terre des ancêtres, berceau de la foi et de la culture juives, un état spécifiquement juif. Cette aspiration, tout homme de cœur et de raison doit la comprendre et la respecter, et spécialement, les juifs qui ne sont pas sionistes : leur fidélité de citoyens français n’implique nullement qu’ils doivent renier leurs racines et leurs solidarités.
Donc, sionisme et judaïsme ne se confondent pas, de même antisionisme et antisémitisme. Mais en théorie seulement. Concrètement sur le plan des faits, nous constatons que l’antisionisme est un avatar moderne de l’antisémitisme. C’est la formule qui permet de s’adonner à l’antisémitisme le plus éculé, sans encourir l’opprobre de ressusciter tout un passé de haine et de génocide. Et même, s’il existe des antisionistes, de bonne foi, qui sincèrement, ne croient pas être antisémites en contestant à Israël le droit d’exister, comment ne pas voir qu’insensiblement, par une association d’idées inéluctable, à force de dénigrer Israël, ils finissent par confondre dans leur détestation l’État juif et l’homme juif ?
Nous ne sommes pas de ceux qui considèrent que l’État juif doit échapper à toute critique d’ordre politique. Son gouvernement est faillible comme tous les gouvernements. D’ailleurs c’est en Israël même, en raison du caractère pleinement démocratique de l’État, que se développent les contestations les plus acerbes. Mais il faut noter qu’à Israël on ne pardonne rien : il n’a pas droit à l’erreur.
L’ONU, si indifférente à tant d’agressions et de violations des droits de l’homme, se montre particulièrement sourcilleuse quand Israël ose prendre, en réponse au terrorisme des mesures de rétorsion. Ce n’est pas être un admirateur inconditionnel d’Israël que d’affirmer son droit imprescriptible de vivre, en tant qu’État indépendant et souverain, à l’intérieur de frontières sûres, reconnues, et… défendables. En ce sens, tout homme de cœur et de raison comprend les ressorts profonds du sionisme et souhaite inconditionnellement la survie de l’État juif.
Antisionisme et antisémitisme ne se recoupent pas exactement, mais ils procèdent de la même perversion et s’expriment par la même démarche. Dans le cas de l’antisionisme, la haine ou le mépris de l’autre, la discrimination et finalement, la volonté et l’élimination, ne s’exercent pas à l’égard d’individus, appartenant à une communauté minoritaire, tenus pour responsables des difficultés intérieures, mais à l’égard d’un pays juif, dans sa spécificité, considéré comme responsable des difficultés internationales. Il est l’empêcheur de danser en rond au Proche-Orient, la cause de désunion arabe, de la crise de l’énergie, des échecs pour établir un nouvel ordre mondial.
Beaucoup pensent tout bas ce que l’OLP proclame tout haut : Israël est un corps étranger au Proche-Orient, un paria qui n’a pas sa place dans la communauté internationale. On voit bien là, reproduit à l’échelle de l’univers, l’éternel processus du bouc émissaire, qui consiste, pour le persécuteur, à transférer sur autrui la responsabilité de son impuissance et de ses échecs, et à chercher, par le sacrifice de l’autre, à conjurer sa propre peur et ses phantasmes.
Nous ne pensons pas qu’il soit possible de professer l’antisionisme sans être, insensiblement, entraîné vers l’antisémitisme, son corollaire. Comment ceux qui attaquent l’État juif, dans son originalité propre, n’en viendraient pas à déceler chez leurs compatriotes juifs, les mêmes traits, les mêmes racines que chez les Juifs d’Israël, et par conséquent une nécessaire connivence avec eux ? Ils dénoncent donc ce qu’ils appellent « leur double appartenance » et leur reprochent d’être un élément étranger, où, à tout le moins, suspect, de la communauté nationale.
Cette injuste accusation n’est pas ouvertement proférée en France, mais elle est parfois sous-entendue dans des propos lénifiants et feutrés. En revanche, il est clair qu’en certains pays, l’antisionisme d’État s’épanouit dans l’antisémitisme d’État. C’est en particulier, le cas de l’Union Soviétique. Mais – nous dira-t-on –, ce régime persécute toutes les minorités, quelles qu’elles soient. Il n’en est pas moins vrai qu’à l’égard de la minorité juive, les mesures étatiques sont particulièrement sévères et visent à supprimer toute vie religieuse et culturelle.
(…) Dieu merci, dans nos pays démocratiques d’Europe Occidentale, pareilles abjections ne peuvent être que l’œuvre de groupuscules infimes et clandestins, que l’État a pour devoir de découvrir et de poursuivre. Mais les gouvernements devraient prendre garde à un danger plus subtil : si, pour diverses raisons, les unes légitimes, les autres moins avouables, telles que la quête obsédante des bonnes grâces arabes dans la crainte de manquer de pétrole ou de rater des contrats d’armement, nos pays démocratiques continuent d’observer au Proche-Orient une attitude peu équitable, et ne cessent de présenter à leur opinion publique, Israël, comme l’obstacle principal à la paix, alors, malgré eux et en dépit de toutes les protestations de bonne foi, ils contribueront, non pas à favoriser l’antisémitisme, mais à fournir aux antisémites, un mauvais alibi. »