Dans l’avant-guerre, docteur en droit, René Pleven (1901-1993) débute une carrière dans une banque avant d’obtenir un poste de direction à l’Automatic Telephone Company, une entreprise américaine. Après la défaite de la France, en 1940, il rejoint la France Libre et travaille au ralliement à de Gaulle de l’Afrique équatoriale française. Il occupe différentes fonctions au Comité français de Libération nationale (CFLN), dont celle de commissaire aux Colonies ; il préside à ce titre la Conférence de Brazzaville en 1944. Il est fait Compagnon de la Libération.
Pleven dirige deux gouvernements sous la IVe République. Sous l’égide de diverses formations centristes (UDSR, PDM…) mais sans engagement caractérisé dans une grande formation politique, il est député des Côtes-du-Nord de 1945 à 1969. Il occupe la fonction de Garde des Sceaux du 22 juin 1969 au 15 mars 1973. Le 7 juin 1972 est discuté par les députés la loi contre le racisme qui porte son nom. À l’unanimité de leur vote répond celle des sénateurs, lors de la séance du 23 juin. La loi est promulguée le 1er juillet 1972. Le texte qui suit est extrait de son intervention du 7 juin.
« Personne ne peut s’étonner (…) que, sur le thème dont débat aujourd’hui l’Assemblée nationale, le Gouvernement et les élus de la nation, quelle que soit leur appartenance politique, se soient retrouvés unanimes. La France a trop souffert, aux jours sombres de l’Occupation, des théories et des pratiques racistes pour qu’un débat sur un tel thème puisse être dans cette Assemblée un débat partisan. Ce ne peut être un débat partisan — et tous les propos tenus à cette tribune par les orateurs qui m’ont précédé le confirment — parce que, en luttant contre le racisme, la France reste tout simplement fidèle à elle-même. (Applaudissements.)
C’est elle (…) qui a donné au monde la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui proclame l’égalité de tous les hommes, quelles que soient leur race, leur naissance ou leur religion.
C’est elle qui a montré la voie de l’abolition de l’esclavage avec Victor Schœlcher (…).
C’est elle qui, la première, a ouvert à des hommes venus d’autres continents l’accès à tous ses emplois publics, y compris les plus élevés, dans l’administration aussi bien qu’au gouvernement.
Terre de refuge pour tant d’exilés et de persécutés, elle est aussi, depuis longtemps, une terre d’accueil pour des millions d’immigrants venus de tous les pays, qu’elle a su progressivement intégrer par des dispositions généreuses sur l’accès à la nationalité française (…).
C’est dire que rien n’est plus étranger à l’authentique tradition française et aux sentiments profonds de notre peuple que le racisme ou la xénophobie.
Mais certains épisodes de notre histoire politique, certaines séquelles de notre passé colonial, certains incidents plus récents montrent que l’on ne peut pas se satisfaire de cette constatation rassurante. Certes, à l’heure actuelle, les manifestations de racisme véritablement caractérisées demeurent heureusement encore assez rares dans notre pays : celles que l’on relève proviennent en général soit d’individus isolés poussés par des animosités personnelles soit de quelques groupes marginaux, sans véritable audience dans le pays.
Même s’il faut se garder de grossir exagérément ces incidents, on comprend aisément pourquoi les minorités ethniques ou nationales qui en sont les victimes y sont particulièrement sensibles : il suffit pour cela de penser à l’histoire ou de regarder au-delà de nos frontières. Car le racisme est une lèpre sans cesse renaissante et très vite contagieuse. Les préjugés raciaux, parce qu’ils trouvent leur source dans les profondeurs de l’inconscient, parce qu’ils se nourrissent de l’ignorance, de la crainte, de l’envie, parce qu’ils ne cèdent ni devant le raisonnement ni devant l’évidence des faits, parce qu’ils sont une manifestation de ce que comporte d’animalité la nature humaine, sont particulièrement redoutables. Sans cesse, ils trouvent de nouveaux aliments : la décolonisation, la présence sur notre sol de nombreux immigrés, leur concentration dans certaines régions ou dans certains quartiers, voire telle ou telle occasion fournie par un aspect de notre politique étrangère, peuvent réveiller des démons endormis. Certains, d’ailleurs, seront toujours tentés d’attiser ces animosités à des fins personnelles, politiques ou partisanes, et l’opinion publique, si l’on n’y prend garde, peut se laisser gagner par la contagion.
La discrimination, le mépris ou l’injure raciale sont particulièrement insupportables lorsqu’ils visent ces travailleurs étrangers qui constituent pour notre économie un apport irremplaçable, contribuant au bien-être de tous. Le racisme et la xénophobie, lorsqu’ils touchent les plus faibles et souvent les plus désarmés des habitants de notre pays, sont aussi vils que lâches.
Que dire alors lorsqu’ils prennent pour cible des hommes ou des femmes originaires de pays dont les citoyens étaient naguère rassemblés sous le drapeau de notre République et dont les pères ou les frères, au cours de deux guerres, ont combattu et versé leur sang pour la libération de notre patrie ! (Applaudissements.)
Et que penser de ceux qui s’attaquent à des citoyens français, cherchant à créer au sein de notre peuple des divisions aussi artificielles qu’odieuses et menaçant dangereusement la paix sociale et l’unité de la nation ?
Je pense en ce moment à une forme nouvelle de discrimination qui se manifeste trop souvent à l’égard d’une certaine jeunesse. Il suffit trop souvent qu’un jeune soit habillé et coiffé de la manière non conformiste qui plait à certains pour qu’il soit soupçonné d’être anormal ou dangereux.
Le devoir des responsables de l’Etat est donc d’être très vigilants et d’utiliser sans hésiter les armes que leur donne la loi pour réprimer ces agissements qui déshonorent ceux qui s’y livrent.
(…) Mesdames, messieurs, mes derniers mots rejoindront les conclusions de la commission des lois, ainsi que les propos tenus par un grand nombre des orateurs qui sont intervenus à cette tribune.
Dans une matière aussi complexe, sans nier aucunement l’utilité de perfectionner notre arsenal répressif et d’incriminer tous les aspects que peut éventuellement revêtir la discrimination raciale ou religieuse, le respect du principe de l’égalité entre les hommes dépend, bien entendu, davantage des mœurs que des textes.
Comme on l’a souligné à juste titre, c’est à tous ceux qui contribuent, chacun dans sa sphère d’influence, à façonner l’opinion — parents, éducateurs, journalistes, écrivains et aussi hommes politiques — qu’il appartient de lutter sans relâche, par la parole et l’exemple, contre le virus du racisme.
N’être pas raciste, ce n’est pas seulement respecter un texte de loi ou même un code de conduite ; c’est un état d’esprit, un état d’esprit que nous dicte le cœur mais aussi la raison.
L’intolérance est le poison dont meurt une société ; le racisme est la forme la plus pernicieuse de cette intolérance. (Très bien ! très bien !)
Aux nouvelles générations, qui n’ont pas connu, comme les nôtres, l’horreur de l’hitlérisme, il faut transmettre cette cruelle leçon de l’histoire de notre siècle et veiller sans cesse à ce qu’elle ne soit jamais oubliée. »
Un texte d’actualité, quand on voit certains partis comme LFI et RN, propager la haine le racisme et la fracture sociale.