Jean Pierre-Bloch (1905-1999) est membre du comité central de la LICA de 1935 à 1940. Député socialiste de l’Aisne de 1936 à 1940, il s’engage dans la Résistance sous l’Occupation. Arrêté en octobre 1941, il s’évade du camp de Mauzac (Dordogne), en juillet 1942, et rejoint le général de Gaulle à Londres où il dirige la section non militaire du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Envoyé à Alger, il est commissaire adjoint à l’Intérieur. Après la guerre, il dirige de 1947 à 1953 la Société nationale des entreprises de presse (SNEP). Il préside la LICA de 1968 à 1993, avant d’en devenir le président d’honneur.
Dans cet article publié dans Le Droit de Vivre en juin 1971, Jean Pierre-Bloch évoque en premier lieu des incidents racistes à répétition qui touchent les ressortissants algériens et suscitent de multiples réactions dans la société française. Il conteste ensuite l’antiracisme sélectif de Georges Montaron, directeur de Témoignage chrétien et vice-président du Centre national de la presse catholique française, organisateur à Beyrouth, en mai 1970 d’une Conférence mondiale des chrétiens pour la Palestine. La conférence avait suscité des protestations au sein même des milieux chrétiens, par sa justification de l’antisionisme et l’expression d’un vieil antijudaïsme, dans un contexte de nouvelles manifestations d’antisémitisme, à l’échelle mondiale.
« M. Georges Pompidou, Président de la République, est intervenu personnellement à propos des incidents graves survenus avec des ressortissants algériens.
La LICA l’approuve sans réserve. Il a eu raison de rappeler : « Il appartient aux autorités publiques d’assurer aux étrangers résidant en France la même protection qu’aux travailleurs étrangers ».
La LICA l’a souvent répété. Il ne peut y avoir deux formes de lutte contre le racisme, l’une pour dénoncer le racisme anti-arabe ou noir des états capitalistes, l’autre pour les états dits socialistes devant qui on recule ou on se tait.
Nous dénonçons avec la même force le racisme tout court, et pour nous donner bonne conscience, nous ne disons pas comme Georges Montaron : « Le racisme anti-arabe prend la relève du racisme anti-juif. » Trop facile, M. Montaron, notre ami d’une autre époque. Les cafés qui viennent d’être saccagés dans la région parisienne étaient tenus par des juifs nord-africains et fréquentés par des arabes. La haine raciale les a, une fois de plus, unis dans la même injustice.
Mais M. Montaron, par contre, vous n’avez rien dit, ou presque, sur ce qui se passe en Pologne et en Russie. Vous avez gardé le silence comme d’autres qui font profession d’antiracisme, comme vos amis du journal « El Moujahid » ont repris à leur compte la trop fameuse légende des crimes rituels où les juifs sont accusés de saigner des enfants chrétiens pour la Pâque. Vous vous êtes tu.
Par contre, notre Congrès a dénoncé et a mis en garde l’opinion publique contre le développement de campagnes abominables anti-arabes. Nous répétons que les travailleurs algériens contribuent au même titre que tous les travailleurs à l’essor de l’économie française. Ils accomplissent dans des conditions difficiles les travaux les plus durs et souvent les moins payés, et nous savons dans quelles conditions ils sont logés autour de Paris.
Les antiracistes que nous sommes préfèrent estimer les
travailleurs arabes autrement qu’en fonction de leurs maîtres producteurs de
pétrole ou de leurs chefs soi-disant démocrates, mais en réalité monarques
absolus (à propos que devient Ben Bella ?). On peut d’ailleurs s’étonner
que ces milliardaires du pétrole ne fassent rien pour améliorer le sort de
leurs coreligionnaires.
Mais ne trichons pas avec la réalité. Il y a quelque chose qui ne tourne pas
rond dans les rapports de la France, terre d’asile et d’accueil, avec ces
travailleurs étrangers dont elle a pourtant besoin pour prospérer.
Pourquoi nier ce mur de méfiance presque aussi honteux, que le mur de
Berlin ? Ajoutons que certains qui s’affirment antiraciste se comportent
comme des racistes, car les racistes, ce sont toujours les autres.
Malgré l’attitude raciste de certains dirigeants arabes, malgré les excès de la
presse algérienne, nous demandons à tous nos amis de ne pas se laisser égarer
par des campagnes dignes de « Je suis partout » ou de
« Gringoire » et qui risquent de conduire à des brimades indignes de
la France.
Nous qui avons toujours défendu les travailleurs algériens, nous affirmons que
nous ne tolérerons pas les « ratonnades » en France, et que les
travailleurs étrangers peuvent compter sur nous. D’ailleurs, parmi nous,
beaucoup aiment à citer le texte du lévitique, verset 19, 33-64, que tout juif
respecte : « Si un étranger vient séjourner avec toi dans ton pays,
ne le moleste pas, il sera pour vous comme un de vos compatriotes, et tu
l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays
d’Égypte. »
La LICA ne permettra pas qu’il y a une affaire Sacco et Vanzetti en France. »