Frantz Fanon est né à Fort-de-France (Martinique) en 1925. Au lycée dans cette ville, il décide de s’engager, en 1943, dans l’Armée française de la Libération. Il combat sous le commandement du général de Lattre de Tassigny. Blessé dans les Vosges, il est envoyé par la suite en Algérie. Son expérience sous les drapeaux le confronte à la discrimination mais aussi au racisme intrinsèque de la société coloniale. À la Libération, il passe son baccalauréat à la Martinique et obtient une bourse, qui lui permet de poursuivre des études de médecine en France. Il devient psychiatre. Fondamentalement anticolonialistes, les écrits de Frantz Fanon, proche du Parti communiste, dénoncent la dépersonnalisation à l’œuvre dans le fait colonial, qui infantilise, opprime et aliène le colonisé. Ils décrient aussi, avec minutie, ses effets psychologiques pour le colon. Dès le début de la guerre d’Algérie, Fanon s’engage aux côtés de la résistance nationaliste ; il rejoint par la suite le FLN. Il meurt d’une leucémie en 1961, à l’âge de 36 ans, dans un hôpital militaire de Washington.
Frantz Fanon est devenu un maître à penser pour de nombreux intellectuels et mouvements d’émancipation, passés et actuels. Dans ce court extrait de Peau noir, masques blancs (Paris, Éditions du Seuil, 1952, rééd. 2011), il explique ce qui rapproche l’expérience des juifs et des noirs, « frères de malheur ».
« C’est au nom de la tradition que les antisémites valorisent leur « point de vue ». C’est au nom de la tradition, de ce long passé d’histoire, de cette parenté sanguine avec Pascal et Descartes, qu’on dit aux Juifs : vous ne sauriez trouver place dans la communauté. Dernièrement, un de ces bons Français déclarait, dans un train où j’avais pris place : « Que les vertus vraiment françaises subsistent, et la race est sauvée ! À l’heure actuelle, il faut réaliser l’Union nationale. Plus de luttes intestines ! Face aux étrangers (et, se tournant vers mon coin, quels qu’ils soient. »
Il faut dire à sa décharge qu’il puait le gros rouge ; s’il l’avait pu, il m’aurait dit que mon sang d’esclave libéré n’était pas capable de s’affoler au nom de Villon ou de Taine.
Une honte !
Le Juif et moi : non content de me racialiser, par un coup heureux du sort, je m’humanisais. Je rejoignais le Juif, frères de malheur.
Une honte !
De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par-là que j’étais responsable dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément négrophobe. »
Je suis juive et profondément convaincue que tous les antisémites sont négrophobes et vice versa.