Juriste, résistant gaulliste pendant la Seconde Guerre mondiale, René Cassin (1887-1976) fut membre du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et travailla à la restauration de la légalité républicaine en France, en 1944. Membre, en 1946, de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies, il participe au sein d’un groupe placé sous la direction d’Eleanor Roosevelt, à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Dans le texte ci-dessus, publié dans Le Droit de Vivre en mars 1949, René Cassin expose les grandes lignes et l’esprit de ce texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations-unies, le 10 décembre 1948.
« Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. » C’est en ces termes que s’exprime la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée des Nations Unies, sans un seul vote contraire.
Ni la Déclaration des droits américaine, ni la célèbre Déclaration française de 1789, qui insistaient sur la liberté, n’avaient cru utile de proclamer le « droit à la vie », tellement celui-ci paraissait naturel et digne de commander les autres.
(…) c’est l’avènement et le développement du fascisme et du racisme meurtriers qui entre les deux guerres, a rendu plus évident la nécessité de proclamer le caractère fondamental de ce droit. Plus le mépris de l’homme a été affiché, plus nombreuses ont été les violences et les pratiques barbares érigées en doctrine politique par le nazisme, plus amples ont été les massacres individuels ou collectifs dont l’apogée a été atteinte entre 1941 et 1944 et plus la protestation, puis la résistance d’une humanité trop longtemps divisée ou indifférente, sont devenues puissantes.
(…) Il n’eut pas été concevable néanmoins que, du sang de tant de millions d’êtres humains sacrifiés à la gloire des conquérants et des seigneurs, n’émergeât pas quelque nouveau Décalogue. La Charte des Nations Unies, adoptée en 1945 à San Francisco, a donc fait une place aux « droits de l’homme et aux libertés fondamentales » dans le Droit des gens positif.
(…) Certains diront, en lisant le préambule et les 30 articles de la Déclaration : beau programme sans sanction ! redoutable illusion dont l’évanouissement sera une source de déceptions amères pour l’humanité.
Hélas ! Les préceptes de l’antique Décalogue sont souvent violés. Mais qui s’autorisera des crimes commis par l’homme, pour jeter à tout jamais l’anathème sur les efforts qu’il fait en vue de s’élever ?
Avons-nous, – nous qui croyons que tous les hommes sont membres d’une même famille et doivent se comporter les uns envers les autres dans un esprit de fraternité – le droit d’abdiquer en face de ceux qui agissent comme si l’homme est nécessairement un loup pour l’homme ?
Mais des doutes trop justifiés par un long passé d’exploitation et d’oppression de l’homme par son semblable et par les groupements desquels il dépend, il faut retenir les leçons de vigilance, de ténacité et d’imagination qui s’imposent !
(…) Ce ne sont pas seulement des conventions internationales d’ordre général – ou d’ordre particulier comme celles contre le génocide, l’esclavage, pour la protection d’information, etc., que l’imagination des hommes devra créer et assortir graduellement de garanties nationales ou internationales allant de la simple pétition jusqu’au recours devant une Cour de justice élevée. La mystique devra s’appuyer sur la technique : les vrais protecteurs et promoteurs du « droit à la vie » devront se recruter non seulement par les moralistes, les juges et les législateurs, mais parmi les savants et techniciens, créateurs de nouvelles ressources alimentaires ou autres, nécessaires à une humanité chaque jour plus nombreuse et plus affamée de justice et de pain.
C’est à ce Grand Œuvre que la Déclaration universelle est susceptible de contribuer. Tous ses défauts, toutes ses imperfections et lacune dont ses auteurs ont pleine conscience n’empêcheront pas qu’elle constitue la puissante protestation des hommes contre un lourd passé et la consolidation internationale pour le présent des principes proclamés séparément par les peuples des civilisations les plus diverses. »
Par-dessus tout, elle forme la première base éthique d’une société politique universelle. Elle est, sans l’avoir dit, la première Déclaration des droits du citoyen du Monde. »
Magnifique. Merci