“Nous étions là, debout, à attendre. Nous avions tous imaginé notre sort bien autrement lorsque nous étions arrivés en France. Les mots Liberté, Égalité, Fraternité étaient inscrits en lettres géantes au-dessus du portail de la mairie, on nous avait fêtés lorsque nous étions arrivés des années plus tôt, les journaux avaient publié pour nous des articles de bienvenue affectueux et pleins de respect, les autorités nous avaient assuré que c’était un honneur pour la France de nous accorder l’hospitalité, le président de la République m’avait reçu personnellement. À présent, on nous incarcérait.
(…) Je pourrais avancer mille et une raisons qui expliquent pourquoi les choses […] ont dû nécessairement se dérouler comme elles se sont déroulées. (…) Mais au fond de moi-même je sais que je ne connais pas la moindre cause de cette confusion barbare dans laquelle nous nous débattons tous aujourd’hui.
(…) Je ne crois pas que notre malheur soit dû à de mauvaises intentions de leur part, je ne crois pas que le diable auquel nous avons eu affaire en France en 1940 ait été un diable particulièrement pervers qui aurait pris un plaisir sadique à nous persécuter. Je crois plutôt que c’était le diable de la négligence, de l’inadvertance, du manque de générosité, du conformisme, de l’esprit de routine, c’est-à-dire ce diable que les Français appellent le je m’en foutisme.»