“Il y a dans les instructions de 1937 comme le testament d’un humanisme libéral où s’expriment, avec les mises au point exigées par les temps nouveaux, la culture traditionnelle et l’esprit même de la France, le sens de sa mission. Dans son souci d’objectivité, notre libéralisme avait la crainte des consignes rigides, la phobie du caporalisme et de la contrainte : « Un pareil enseignement, écrivions-nous – en parlant de celui que nous souhaitions –, ne peut qu’être foncièrement libéral. Les maîtres ne cherchent pas plus à plaquer des idées dans l’esprit qu’à y entasser un fatras de connaissances… Ils apprennent à leurs élèves à se former eux-mêmes leurs idées… »
Nous redoutions par-dessus tout que la politique ne s’introduisît dans la classe et les consignes données au professeur de français pour les exercices de conversation et de discussion précisaient : « À peine est-il besoin d’inviter à bannir soigneusement de ces exercices tous les sujets qui seraient de nature à troubler la sérénité indispensable aux études. » […] L’enseignement humaniste ne saurait se proposer de former des fanatiques et des soldats, mais non plus se contenter de préparer, pour la défense indispensable des droits de l’esprit, des clercs désarmés. N’eût-il pas fallu opposer aux « cerveaux en uniforme » une moins sereine objectivité, un jacobinisme plus militant et ne pas craindre, sous couleur de libéralisme, d’animer la jeunesse à l’action en général et, plus particulièrement, à la lutte française pour nos libertés ?
Oui, le vrai reproche auquel s’exposaient ces instructions, c’était d’être trop civilisées, trop confiantes, pour un monde barbare. Elles s’inspiraient d’une noble méthode, mais dont la noblesse même, si elle avait une chance de former volonté d’action ? Montaigne et Descartes suffisaient-ils à armer pour les luttes de la vie, en tout cas pour les inexorables champs de bataille ? Sans doute les instructions de 1937 se défendaient-elles de forger « des sceptiques et des dilettantes ». Elles prescrivaient fermement aux maîtres « de veiller à ce que les élèves ne perdent jamais de vue que dans toute discussion il faut conclure, qu’après avoir pesé le pour et le contre il faut se décider à choisir, s’engager, accepter le risque ». Elles leur recommandaient de former « des esprits ayant le sens du divers et du relatif, ouverts à toutes les idées, tolérants, mais ne séparant pas l’exercice de la pensée de la nécessité d’agir ». […]
Aussi bien n’est-ce pas le procès du passé que ces réflexions intéressent – est-on coupable de trop de noblesse ? – mais les leçons à dégager pour l’avenir. La France de demain ne saurait penser à introduire le catéchisme politique, le militantisme partisan à l’école, comme Vichy n’a pas craint de le faire à l’imitation impie de Berlin et de Rome, mais elle devra chercher l’équilibre nécessaire entre la générosité de sa tradition culturelle et les nécessités vitales du monde moderne. Elle devra cimenter solidement un corps de doctrines françaises, doctrines de la liberté et de la souveraineté populaire, des devoirs librement consentis et d’autant plus fidèlement remplis, les enseigner, les imposer, enrôler à leur service, boucher les fissures par où passaient les abandons et les trahisons, ne plus souffrir qu’on transige avec l’héritage de vie, exiger qu’on le défende comme le corps et l’âme de la patrie.”