Elle a été signée deux jours plus tôt par le Maréchal Pétain et contresignée par Darlan. Elle décide de la création d’un « Commissariat général aux Questions juives » chargé de :
- « Préparer et proposer au chef de l’État toutes mesures législatives relatives à l’état des juifs, à leur capacité politique, à leur aptitude juridique à exercer des fonctions, des emplois, des professions ;
- Fixer, en tenant compte des besoins de l’économie nationale, la date de la liquidation des biens juifs dans les cas où cette liquidation est prescrite par la loi ;
- Désigner les administrateurs séquestres et de contrôler leur activité. »
Le 19 mai, Vichy durcit ce premier texte et surenchérit. Le Commissariat général aux questions juives pourra même « provoquer éventuellement à l’égard des Juifs et dans les limites fixées par les lois en vigueur, toutes mesures de police commandées par l’intérêt national ».
Dès lors, c’est toute une bureaucratie antisémite qui se met à l’ouvrage depuis la place des Petits-pères dans le 1er arrondissement de Paris, dans les locaux réquisitionnés de la Banque Dreyfus et depuis l’Hôtel d’Alger Vichy. La ligne politique est résumée par Xavier Vallat, premier commissaire général aux Questions juives dans les colonnes de Paris-Soir du 5 avril 1941 : « Les Juifs ne sont tolérables dans la société qu’à dose homéopathique. » Dès le 2 juin 1941, deuxième loi sur le statut des Juifs portant allongement de la liste des interdictions professionnelles, numérus clausus de 2 % pour les professions libérales et de 3 % pour enseigner à l’Université. Le même jour, loi prescrivant le recensement des Juifs (de la zone occupée et de la zone prétendument libre. Le 21 juin 1941, loi réglant les conditions d’admission des Juifs dans les établissements d’enseignement supérieur avec instauration d’un numerus clausus de 3 % applicable aux étudiants juifs. Le 22 juillet 1941, loi relative aux entreprises et biens ayant appartenu à des Juifs absents ou disparus, dite « Loi d’aryanisation ». Le 2 novembre 1941, loi interdisant toute acquisition de fonds de commerce par les Juifs sans autorisation. Le 29 novembre 1941, loi portant dissolution des associations juives et transfert de leurs biens à l’Union générale des Israélites de France. Le 9 décembre 1941, décret prévoyant l’internement des étrangers et apatrides juifs entrés en France depuis le 1er janvier 1936. A quoi il faut ajouter tous les décrets règlementant les professions d’avocat, d’officier ministériel, de sage-femme, de médecin, de dentiste, de pharmacien, d’architecte…
Dès lors, sous l’autorité de Xavier Vallat puis de Louis Darquier de Pellepoix, 10 000 entreprises sont « aryanisées », 50 000 administrateurs provisoires sont nommés. Les juifs sont ainsi dépossédés et spoliés. Pour vérifier de la mise en place de la législation antisémite, le Commissariat aux Questions juives se dote d’une Police des Questions juives, transformée en 1942 en Section d’enquête et de contrôle. Jusqu’à août 1944, ce sont ainsi 1200 agents qui mettent en œuvre la législation antisémite de l’Etat Français.
Le 9 août 1944, le général de Gaulle prend une ordonnance relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental et qui considère comme nuls et non avenus, notamment, les texte « qui établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de Juif ». Xavier Vallat sera est condamné à dix ans d’emprisonnement et à l’indignité nationale à vie par la Haute Cour de justice. Il retrouve sa liberté totale de mouvement en 1952, grâce à l’intervention de son ami Antoine Pinay, et il est finalement amnistié en 1954. Darquier de Pellepoix prend la fuite et se réfugie dans l’Espagne franquiste. Le 10 décembre 1947, il est condamné à mort par contumace, à la dégradation nationale à vie et à la confiscation de ses biens. En 1978, il accorde une interview à L’Express, qui la publie le 28 octobre 1978. Il y déclare notamment « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». Antisémite, jusqu’au bout.
(1) Voir le livre de l’historien Laurent Joly, L’antisémitisme de bureau. Enquête au cœur de la préfecture de police de Paris et du Commissariat général aux questions juives, Grasset, 2011