En ce mois de mars 1882, les débats sont fiévreux devant la Chambre des Députés et le Sénat. Le Ministre de l’Instruction Publique, jules Ferry, a déposé sur le Bureau du Parlement un projet de loi qui, en réalité, est une véritable révolution en rendant non seulement l’école obligatoire, ce qui correspond à une tendance déjà inscrite dans les mœurs des familles, mais laïque.
Dans l’opposition conservatrice et catholique, on s’insurge contre « une école sans Dieu », au point que le sénateur Jules Simon s’étrangle : « Mettez le nom de Dieu dans cette loi : mettez le, je vous en supplie, au nom de la République et aussi au nom de la France. (…) Mais s’il faut l’avouer, ce n’est pas seulement comme défense, ce n’est pas seulement comme protestation que je désire voir écrire le nom de Dieu dans la loi de l’enseignement ; je le désire aussi parce qu’il me répugne à moi, vieux professeur, de voir une loi d’enseignement et surtout d’enseignement primaire de laquelle le nom de Dieu a été retiré ; cela me choque, cela m’afflige ; cela, le dirais-je ? a attristé ma vie ; je ne me sens plus dans le monde et dans le pays où j’ai travaillé et combattu pendant tant d’années. »
Car ce qui préoccupe l’Église dans le texte de Jules Ferry ce n’est pas l’affirmation d’un principe de laïcité qui n’y figure pas explicitement : c’est la disparition de la « morale religieuse » des enseignements fondamentaux prescrits par l’Etat au profit d’une « instruction morale et civique ».
Avec ces dispositions, les programmes sont, de fait, laïcisés. L’École publique accède à la neutralité cesse d’être confessionnelle et répond aux exigences formulées par le rapporteur du texte au Sénat, Charles Hippolyte Ribière : « Mais la composition du programme obligatoire soulevait une question politique et sociale dont aucune autre ne dépasse l’intérêt et l’importance, c’est la question de la liberté des consciences. L’école primaire, quelle qu’elle soit, publique, privée, ou familiale, n’est pas seulement une instruction, elle est aussi une éducation. A ce dernier titre, elle doit à l’enfant l’enseignement moral.
« Mais quelles sont les bases de cet enseignement ? Appuiera-t-on ses notions et ses principes sur l’intelligence, sur la raison et sur la conscience ? Lui donnera-t-on pour soutien les affirmations et les dogmes divers des religions positives et confessionnelles ? En d’autres termes, inscrira-t-on, en tête du programme, comme le portait la loi de 1850, l’instruction morale et religieuse, ne donnera-t-on pas le caractère obligatoire, comme le propose la loi nouvelle, qu’à l’instruction morale et civique ? En d’autres termes encore, l’école sera-t-elle neutre ou laïque, ou bien continuera-t-elle d’être confessionnelle ? Hâtons-nous de faire une remarque essentielle : il est bien entendu que dans l’école privée, et à plus forte raison au sein de la famille, l’enseignement pourra s’appliquer en toute liberté à des sujets non compris au programme obligatoire, notamment à l’instruction religieuse, quels qu’en soient l’objet et le caractère. La question n’intéresse donc que l’école publique ; c’est elle seule qui supprime de son programme l’instruction religieuse, sauf aux enfants qui la fréquentent à recevoir cette instruction par les soins de leurs parents eux-mêmes ou, au gré de ceux-ci, par les soins des représentants des différents cultes, dans des conditions qui réservent et maintiennent la neutralité de l’école. ».
L’édifice est achevé quatre ans plus tard avec la loi Goblet du 30 octobre 1886 qui prolonge la loi de 1882, en confiant à un personnel exclusivement laïque l’enseignement dans les écoles publiques, remplaçant les instituteurs religieux des congrégations enseignantes.