Le 21 avril 1944, le Comité Français de Libération Nationale, présidé par le Général de Gaulle, prend à Alger une « ordonnance relative à l’organisation des pouvoirs publics en France après la Libération » dont la teneur est historique :
- Article 1 : « Le peuple français décidera souverainement de ses futures institutions. À cet effet, une Assemblée nationale constituante sera convoquée dès que les circonstances permettront de procéder à des élections régulières, au plus tard dans le délai d’un an après la libération complète du territoire. Elle sera élue au scrutin secret à un seul degré par tous les Français et Françaises majeurs, sous la réserve des incapacités prévues par les lois en vigueur.
- Article 17 : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. »
En quelques mots, le droit de vote vient d’être accordé aux femmes et pour la première fois en France, le suffrage est véritablement universel. Dans les faits, cette ordonnance est davantage une promesse qu’une réalité. A la date du 21 avril, la France métropolitaine est toujours occupée et la France libre s’est installée à Alger pour établir ses propres institutions et préparer le pays à sa Libération, notamment au plan politique. Les travaux préparatoires de la commission de législation et de réforme de l’État de l’Assemblée consultative provisoire n’ont pas été simples et la question des femmes a soulevé des controverses. Si le principe du droit de vote pour les femmes fait rapidement consensus, sa mise œuvre fait l’objet d’âpres discussions.
Certains députés refusent que les femmes puissent voter dès les premières élections provisoires dans la mesure où certains estiment que, du fait du très grand nombre d’hommes prisonniers en Allemagne ou de ceux engagés dans les combats, le corps électoral serait déséquilibré par une surreprésentation des femmes. Le député communiste, qui préside la commission et auteur de l’amendement favorable au vote des femmes, met alors un terme au débat : « l’éloignement de leur foyer de nombreux prisonniers et déportés qui ont été remplacés dans leurs tâches par leurs femmes confère à ces dernières un droit encore plus fort de voter dès les premières élections ». Le 24 mars 1944, l’amendement Grenier est adopté par une assemblée d’hommes, par 51 voix contre 16.
Il faut reconnaître qu’il y a véritablement eu un retard français dans le processus d’égalité des droits. Le député socialiste de la Drôme, Louis Vallon a d’ailleurs rappelé lors de la commission qu’il retrouvait « dans ce débat les traditions de l’ancien Parlement français dans ce qu’elles avaient de plus détestable. À maintes reprises, le Parlement s’est prononcé à la quasi-unanimité pour le principe du vote des femmes mais, chaque fois, l’on s’est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n’aboutisse pas ». Entre 1919 et 1940, le Parlement français a délibéré à huit reprises sur le sujet. Le mouvement des « Suffragettes » s’affirme politiquement. Mais à chaque fois, la majorité conservatrice du Sénat a empêché les textes d’aboutir, soit en les rejetant, soit en refusant purement et simplement de les inscrire à son ordre du jour. Le Parti Radical, très implanté au Sénat, animé par un fort sentiment anticlérical, craint que les femmes ne soient sous l’influence des menées de l’Église catholique, leur déniant au passage toute forme d’autonomie ou de maturité politique. En 1936, la Chambre du « Front Populaire » adopte enfin à l’unanimité le droit de vote aux femmes mais une fois de plus, le Sénat bloque. Lors de la nomination du Gouvernement Blum, les seules femmes à pouvoir s’asseoir dans l’hémicycle sont Suzanne Lacore, Irène Joliot-Curie et Cécile Brunschvicg, membres du gouvernement et siégeant sur le banc des ministres.
La Résistance, et le rôle notamment joué par les femmes dans la Résistance intérieure, a changé la donne. Dès 1942, Christian Pineau propose de leur accorder le droit de vote dans sa Déclaration aux journaux clandestins. Dans le même temps, Pétain propose à l’inverse dans son projet de constitution du 30 janvier 1944, qui ne verra jamais le jour, que ce soit « le père qui exerce le droit de vote, et « éventuellement » la mère lorsqu’elle est chef de famille. »
Les femmes pourront exercer leur droit au suffrage pour la première fois dans une France libérée mais toujours en guerre lors des élections municipales du 29 avril 1945 puis une seconde fois pour les élections à l’Assemblée constituante organisées le 21 octobre 1945. Elles rejoignaient ainsi dans l’isoloir les femmes de Nouvelle-Zélande (1893), d’Australie (1901), de Finlande (1906), de Norvège (1913), du Danemark (1915), d’Arménie (1918), d’Allemagne (1918), des Pays-Bas (1919), des Etats-Unis (1920) du Royaume-Uni (1928), de Turquie (1930)…