Les origines de la LICRA remontent au procès de Samuel Schwartzbard, juif ukrainien qui a assassiné le 25 mai 1926, rue Racine (Paris, Ve arr.), l’ex-chef du gouvernement ukrainien, Simon Petlioura, accusé d’avoir commis des massacres antijuifs durant la guerre contre les bolcheviks (1918-1920). Le 26 octobre 1927, Schwartzbard est acquitté par la cour d’Assises de la Seine. À la suite de cet événement fortement médiatisé, quelques hommes qui ont suivi l’affaire de près, parmi lesquels le journaliste Bernard Lecache et l’écrivain Joseph Kessel, jette les bases d’une association destinée à lutter contre les pogromes et l’antisémitisme. Un comité est créé qui comprend, entre autres, Henry Torrès, l’un des avocats de Schwartzbard, Lazare Rachline ou encore Simon Goldenberg. L’objectif est alors de décloisonner une cause jusque-là porter quasi exclusivement par des milieux juifs. Le terme « ligue » renvoie à cette volonté fédératrice, dont il est attendu qu’elle transcende les appartenances politiques et religieuses.Au début du mois de février 1928 a lieu, salle Wagram, un « meeting de protestation contre les excès antijuifs » qui préfigure l’organisation naissante. La tribune, placée sous la présidence d’Henry Torrès, est composée de personnalités comme Marc Sangnier, Georges Pioch, Léo Poldès ou encore l’abbé Viollet. Ce meeting contient les principales caractéristiques des futures manifestations de la LICA : la présence de personnalités non juives, pour condamner un fléau meurtrissant l’humanité entière ; celle de personnalités catholiques affirmant solennellement l’incompatibilité entre racisme et doctrine chrétienne ; l’appel solennel aux autorités, invitées à entreprendre des démarches diplomatiques.Un second meeting est organisé un mois plus tard, le 9 mars 1928, salle Bullier. Il est placé sous la présidence d’honneur d’Albert Einstein et la présidence effective du professeur Paul Langevin. Un message du pasteur Monod est lu, rappelant la persécution qui a frappé les huguenots par le passé. Bernard Lecache, le professeur Jacques Hadamard, Georges Pioch et Henry Torrès prennent tour à tour la parole devant 3 000 personnes.Le 18 avril 1928 a lieu l’assemblée générale constitutive de l’organisation, salle Bonvalet, à Paris. Présidée par Bernard Lecache, Lazare Rachline et Simon Goldenberg, elle débouche sur l’adoption des statuts qui fixent trois objectifs :
« 1° – Lutter, par tous les moyens en son pouvoir, contre les pogromes anti-juifs qui déshonorent l’humanité ;
2° – Défendre, par une action à la fois préventive et positive, les droits à l’existence et à la paix des israélites dans le monde entier ;
3° – Réaliser, par l’union des hommes et des femmes de toutes opinions, le rapprochement des peuples, la paix entre les races et l’égalité parmi les hommes. »Au cours de cette même réunion, un comité central est élu, composé de quarante membres parmi lesquels Séverine, Paul Langevin, Jacques Hadamard, Victor Basch, Jean-Richard Bloch, Joseph Kessel, Georges Pioch, le pasteur Monod, l’abbé Viollet, Léo Motzkin et Me Weill-Goudchaux. Auréolé de sa victoire judiciaire, Henry Torrès accepte la présidence et Lecache le poste de secrétaire général.
Trois principaux pôles structurent le champ intellectuel de l’association qui naît alors : un pôle humanitaire, avec des militants de la Ligue des Droits de l’Homme, préoccupés de longue date par la lutte contre l’antisémitisme et contre les pogromes ; un pôle communautaire, qui est celui des milieux du judaïsme dont la diversité est à souligner (assimilationniste, sioniste, « israélites » français et juifs immigrés) ; le pôle politique d’une gauche pacifiste et progressiste, voire révolutionnaire.Les statuts adoptés le 18 avril 1928 reflètent les aspirations politiques et sociales de cette nébuleuse. Si le deuxième objectif rappelle les impératifs du combat contre l’antisémitisme et de l’émancipation des juifs, le troisième ouvre l’horizon plus large d’un progrès collectif du genre humain, par le dépassement des clivages, des frontières et des origines. La ligue, qui focalise alors sur l’antisémitisme, ouvre donc sur une perspective antiraciste sur fond d’un internationalisme pacifiste.Des désaccords se font toutefois rapidement entendre dans l’association, freinant ses activités. Moins d’un an plus tard, le 24 février 1929, une nouvelle assemblée générale débouche sur la constitution de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA) dont la présidence est confiée à Bernard Lecache. Les statuts reprennent ceux de la Ligue internationale contre les pogromes. Les mois qui suivent, elle reçoit le soutien de la comtesse de Noailles, d’Herbert George Wells, de Romain Rolland, de Sigmund Freud, de Maxime Gorki, de Joseph Kessel et d’Albert Einstein. La LICRA est véritablement née.
Pour aller plus loin : Emmanuel Debono, Aux origines de l’antiracisme. La LICA, 1927-1940, Paris, CNRS Éditions, 2012).
A ce sujet lire l’excellent livre de Remy Bijaoui “Le crime de Samuel Schwartzbard” qui relate la plaidoirie du célèbre ténor du barreau Henry Torés. Le fameux procès des pogromes.