À quoi ressemblent les rassemblements antihitlériens dans la France des années 1930 ? Souvent organisés par la LICA, seule ou en collaboration avec des comités créés après janvier 1933, ils font salle comble à Paris comme en Province. L’heure est à la protestation et à la solidarité comme en attestent les tribunes composites qui mêlent élus, représentants d’associations et de partis politiques, ministres des cultes, journalistes, scientifiques, femmes et hommes de Lettres. Les intervenants appartiennent généralement à la gauche, du parti radical-socialiste au parti communiste. Nombre d’entre eux sont des habitués des manifestations en faveur des grandes causes humanitaires. De ce point de vue, la LICA avance sur un terrain balisé au cours des décennies précédentes, où s’affirme toutefois, en ces circonstances, le resserrement des liens entre un pôle politico-associatif de gauche et un pôle plus spécifiquement juif.
1933 est prolixe en rassemblements. Le meeting de Wagram du 3 avril 1933 est organisé par les Engagés volontaires juifs et la LICA. La grande salle parisienne est bondée, comme le donnent à voir les images des actualités cinématographiques. On y entend tonner les voix de Bernard Lecache, président de la LICA, de l’écrivain Pierre Paraf, du général Weiller, de l’avocat Vincent de Moro-Giafferri, du pasteur Jézéquel, de l’abbé Viollet ou encore de la militante féministe Yvonne Netter.
Le meeting du 8 avril 1933 à la salle Bullier, située au 31 avenue de l’Observatoire, à l’intersection avec le boulevard Saint-Michel, en face de l’actuelle station de RER Port Royal, rassemble autour de Lecache, Magdeleine Paz, Yvonne Netter, Germaine Malaterre-Sellier, André Spire, le chanoine Desgranges ou encore Léon Blum.
C’est à nouveau à Bullier que se tient, le 12 mai suivant, un grand rassemblement organisé par la LICA, le Cartel de la Liberté et le Comité d’aide aux victimes du fascisme hitlérien. Ce soir-là, la protestation prend une dimension plus internationale. À la tribune que préside Bernard Lecache, Lord Marley, vice-président de la Chambre des Lords « dénonce les méfaits du fascisme hitlérien, oppresseur des minorités, et appelle à l’unité d’action des forces de gauche, seule capable de s’opposer victorieusement à tous les fascismes ».
Pietro Nenni, fasciste repenti et ex-directeur de L’Avanti !, installé en France depuis 1926, apporte « le salut fraternel des démocrates italiens et leur protestation contre la barbarie d’outre-Rhin ». Marc Sangnier, figure du catholicisme social, appelle à « l’union des hommes pour marcher fraternellement dans le chemin de la liberté ». Gabrielle Duchêne, président de la Ligue des Femmes pour la Paix et la Liberté, lui succède au micro et décrit l’engagement qui doit être celui des femmes en ces circonstances. Henri Faron, secrétaire général du Comité d’aide aux réfugiés et proscrits d’Allemagne plaide pour l’union des forces de gauche.
Le Comte Michály Károlyi, ancien Président de la République hongroise, entend « mettre en lumière les causes politiques d’un fascisme qui existait en germe dans la faiblesse et l’impuissance des gouvernements précédents ».
L’écrivain allemand Rudolf Leonhard, proscrit de l’Allemagne nazie, appelle à la construction de « bibliothèque de la liberté », dans les capitales du monde entier, « où seront réunis tous les livres brûlés en Allemagne ». Ainsi sera maintenue, d’après lui, la tradition du peuple, « car l’esprit, s’il est marqué du caractère de chaque nation, possède un rayonnement et une efficacité qui en font une puissance internationale ».
Le militant anticolonialiste Tiémoko Garan Kouyaté associe « ses frères de couleur à la véhémente protestation de tous les esprits libres contre les persécutions hitlériennes » et flétrit « les violences exercées par des prétendus civilisés contre des hommes de race inférieure ». Les communistes Paul Vaillant-Couturier, député de la Seine, et Louis Gibarti prennent enfin la parole, avant qu’un ordre du jour ne soit adopté.
Les meetings sont des moments où s’expriment, dans une émotion intense et collective, les sentiments d’union et d’action. Ils témoignent du besoin de resserrer les rangs, de compter ses alliés, face à l’injustice et à l’anxiété née des bouleversements géopolitiques. Toutefois, ils ne donnent bien souvent qu’une illusion de puissance, au regard de leurs faibles retombées sur les orientations politiques gouvernementales et, a fortiori, dans ce cas précis, sur la politique intérieure d’un État souverain. Ces moments de communion, où est invoquée la « conscience universelle », n’en constituent pas moins des temps forts de la vie militante, substituant à la question « à quoi bon ? » le simple constat de l’impossibilité de se taire