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Que faire face aux « Fake News » ? La LICRA auditionnée à l’Assemblée Nationale

Le député Richard Ferrand, président du groupe LREM à l’Assemblée Nationale, a déposé sur le Bureau du Parlement une proposition de loi contre les “fake news ». Auditionnée à l’Assemblée Nationale à la demande de plusieurs parlementaires, Ilana Soskin, présidente de la commission  «  Licranet » revient sur les enjeux de ce texte et propose des pistes pour l’améliorer et le rendre plus efficace, notamment en reprenant les mesures présentées par la LICRA, l’UEJF, SOS Racisme, J’accuse ! et le MRAP ces dernières semaines en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

 

Ilana SoskinLicra : Une question simple mais complexe : qu’est-ce qu’une “fake news” ?

Ilana Soskin : “C’est précisément toute la difficulté à laquelle devra faire face la Proposition de Loi et aussi celle qui, parmi les juristes, entraine la plus grosse levée de boucliers. Ce d’autant que la Proposition de Loi parle tantôt de « fausses nouvelles », tantôt de « fausses informations », la première notion impliquant l’idée d’une divulgation, c’est à dire d’une information révélée pour la première fois alors que selon la seconde, il pourrait s’agir de reprises d’informations déjà divulguées. Il faut savoir que le code électoral contient déjà une disposition punissant ceux qui « à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter ». La Loi de 1881 fait également référence à cette notion à l’article 27 qui punit la publication « de nouvelles fausses » qui, faite de mauvaise foi, aurait troublé la paix publique. Ce texte, totalement en raison de la difficulté à définir ce qu’est une fausse nouvelle, n’a reçu quasi aucune application. Et c’est aussi le risque que comporte l’adoption d’un texte réprimant des fausses informations, qui contraindrait à demander à des juges, et aussi à des GAFA, de présupposer de ce qui sera vrai ou non.”

Licra : Ce texte concerne la lutte contre la prolifération contre les « fake news » constatées à l’occasion d’une campagne électorale et qui pourraient altérer la sincérité du scrutin, comme ce fut sans doute le cas lors de la dernière élection présidentielle américaine. Ne pensez-vous pas que le champ d’application de la proposition de loi est trop limitatif et devrait traiter cette question en dehors des temps électoraux ? 

“C’est un état de fait, les dernières élections ont été perturbées par la diffusion massive de fausses informations de nature à influer sur le vote des électeurs. Mais nous constatons que de plus en plus, sans pour autant être diffamatoires ou injurieuses, des fausses rumeurs, touchent des particuliers, des institutions ou des associations. Je prends un exemple. J’ai récemment défendue un homme dont des complotistes disaient de lui, pour le décrédibiliser, qu’il était franco-américain, ce qui était notamment faux puisqu’il était français. Le but de cette manœuvre était de faire croire à une allégeance auprès des Etats-Unis. Rien d’attaquable sur le terrain de l’injure ou la diffamation. Et pourtant, un préjudice évident pour cette personne. La condamnation des fausses informations pourrait permettre d’y remédier.”

En quoi les propositions rendues publiques par la LICRA en matière de lutte contre la haine en ligne peuvent-elles répondre aussi aux enjeux de la lutte contre les fake news ?

Ilana Soskin : “Plusieurs dispositions de la Proposition de Loi s’inspirent de textes déjà existants en matière de lutte contre les propos haineux racistes, antisémites ou homophobes.

Le texte propose que soit mis en place un dispositif de signalement de « fausses informations » sur les plateformes, ce qui est déjà prévu par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique en matière raciale. Les associations, et la LICRA particulièrement, tachent à faire respecter cette obligation auprès des hébergeurs et surtout, mesurent régulièrement, grâce à des testings, leur efficacité. L’audition de la LICRA par l’assemblée nationale a été l’occasion de faire part de notre expérience unique en matière de signalement de contenus haineux.

Par ailleurs, la Proposition de loi préconise que les hébergeurs rendent public « les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre la diffusion de fausses informations », texte, calqué sur celui existant en matière de lutte contre les propos racistes et homophobes. Or, les associations antiracistes ont précisément tenté l’année dernière, notamment lors du référé qui a été initié contre Youtube, Facebook et Twitter de connaître les moyens précis qui étaient mis en œuvre à la lutte contre les propos racistes, antisémites et homophobes. Cela n’a pas été chose simple et c’est la raison pour laquelle les associations ont suggéré dans le cadre de leurs propositions antiracistes (A lire en intégralité ici)  de contraindre les hébergeurs à produire de façon annuelle un rapport complet faisant état des mesures entreprises pour lutter contre les discours de haine et détaillant les moyens matériels et humains affectés, notamment l’emplacement et les effectifs des plateformes de signalement et de créer une autorité administrative en charge d’évaluer les modalités de signalement et de modération qui pourraient faire l’objet de recommandations ou de sanctions administratives (voir proposition 7 ci-dessous).

Enfin et surtout, lors de son audition, la LICRA a souhaité attirer l’attention des députés sur le nouveau référé que le texte prévoit de mettre en place et au terme duquel un juge devrait se prononcer dans un délai de 48 heures. Ce texte nous paraît vain à l’égard des hebergeurs étrangers tant que ces deniers ne seront pas contraints de désigner une personne responsable juridiquement en France. C’est pourquoi les associations antiracistes ont proposé que les hébergeurs non-établis sur le territoire français et offrant un service de communication en ligne accessible sur le territoire français soient tenus de désigner un représentant local, personne physique, résidant sur le territoire français ) à qui tout acte extra judiciaire, assignation, réquisition, notification ou demande pourra être adressé (voir proposition 1 ci-dessous). C’est pour ainsi dire le principal. Sans cela, nous ne ferons pas avancer la lutte contre les contenus haineux.”

Rappel : nos propositions contre la haine en ligne 

 

La LICRA, SOS Racisme, l’UEJF, J’accuse et du MRAP proposent que 7 mesures concrètes et facilement mises en œuvre soient adoptées afin de lutter contre l’impunité des propos haineux sur internet avec le concours actif des hébergeurs.

1. Imposer aux hébergeurs non-établis sur le territoire français de désigner un représentant local assumant leurs responsabilités en matière d’antisémitisme, de racisme, de négationnisme ou de discriminations ;

2. Etendre le dispositif de signalement prévu par la LCEN à tous les contenus à caractère antisémite, raciste, négationniste ou discriminatoire ainsi qu’aux moteurs de recherche ;

3. Assouplir le dispositif de signalement ;

4. Améliorer l’identification des auteurs ;

5. Renforcer le dispositif répressif existant ;

6. Etendre les possibilités d’intervention du juge pour ordonner la fermeture de comptes ou de profils véhiculant des discours de haine à caractère antisémite, raciste, négationniste ou discriminatoire ;

7. Etendre l’obligation de transparence des hébergeurs quant aux moyens mis en œuvre.

Ce document juridique, rédigé par les avocats des associations, a été remis à Edouard Philippe (Premier ministre), Nicole Belloubet (Ministre de la Justice), Françoise Nyssen (Ministre de la Culture) et Mounir Mahjoubi (secrétaire d’Etat au numérique), par les cinq associations signataires.

 

>> Lire l’intégralité des propositions 

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Le DDV, revue universaliste

N°689 – Le DDV • Désordre informationnel : Une menace pour la démocratie – Automne 2023 – 100 pages

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