Mesdames et Messieurs les élus,
Cher(s) amis,
Pour la 6ème année consécutive, la LICRA tient ces universités au Havre dans « une ville qui accueille à bras ouverts » pour reprendre le mot de l’écrivain Henry Miller au sujet de votre ville.
C’est un réel bonheur en effet, pour les militants de la LICRA, d’avoir désormais ce qui est devenu un point de repère dans l’engagement militant de chacun. Nous avons, c’est certain, réussi à établir une relation particulière, pour ne pas dire, j’oserai le terme, une « identité heureuse », entre nous.
Evidemment, les 500 ans d’histoire que cette ville fêtera l’an prochain ne sont rien en comparaison des 90 ans que la LICRA. Pourtant, dans nos histoires respectives, faites de valeurs et d’épreuves, nous avons beaucoup en partage et, comme la LICRA, la ville du Havre a su changer pour rester elle-même et s’adapter aux défis que les circonstances lui imposaient.
Nos universités se tiennent dans un climat peu commun. Nous vivons sous l’empire de l’état d’urgence depuis plus d’un alors que la France a été meurtrie, dans sa chair, par des drames dont chacun sait qu’ils ont marqué un tournant dans l’histoire de notre pays. L’année terrible que nous venons de traverser fait qu’il y aura, qu’on le veuille ou non un avant et un après.
Et puis, Monsieur le Maire, nous entrons dans une période de turbulences. Vous en savez quelque chose. Malgré les épreuves et les blessures, notre démocratie devra, l’an prochain, faire la preuve de sa vivacité et de sa résilience. Jamais des élections n’auront été à la fois aussi incertaines mais surtout aussi menaçantes. La France a rendez-vous avec elle-même et nous l’espérons, devra résister à la tentation de se jeter dans les bras des extrémistes pour croire en fuir un autre, de nature différente, religieux et totalitaire, qui s’est attaqué à l’âme de la France.
C’est précisément le thème central de nos universités : comment allons-nous parvenir à combattre cette offensive simultanée des extrémismes contre la République ?
Nos ennemis, qu’ils viennent de l’extrême-droite, fût-elle grimée en patriote populiste, qu’ils viennent de l’islam politique, qu’ils viennent de l’extrême-gauche antisémite et raciste partagent tous la même aversion pour la République et notre régime de libertés.
L’extrême-droite, c’est dans son ADN et dans ses viscères : en dépit des apparences et notamment d’émissions de divertissement qui nous proposent d’entrer dans son intimité, elle vomit la République. Son soudain intérêt pour la laïcité n’est en réalité qu’une instrumentalisation contre ceux qui ne sont pas chrétiens. Il suffit de lire Eric Zemmour pour le comprendre.
L’islam politique, quant à lui, est la source d’une spirale létale pour la France, à la faveur d’une escalade, qui marche après marche, vise tout d’abord à affaiblir nos institutions, à tester nos valeurs universelles pour les paralyser, à exciter le communautarisme pour diviser la Nation et au final, à semer la mort et la désolation.
Une partie de l’extrême-gauche enfin organise des camps d’été interdits aux Blancs, planque son antisémitisme derrière le paravent politiquement correct de l’antisionisme et réveille les fantômes de la France coloniale en prônant, avec un succès qu’il ne faut pas occulter dans les quartiers, la division ethnique de la société.
Ce décor assez sombre étant planté, je veux vous dire Monsieur le Maire, que la LICRA est mobilisée et qu’elle jettera dans les mois qui viennent toutes ses forces dans la bataille pour que la République ne soit pas, dans un an, qu’un vieux souvenir mis au rebus des aléas de l’Histoire. A la LICRA, nous savons que le combat pour les Lumières n’est pas gagné pour toujours et que, comme on dit dans ma bonne ville de Lyon, sans cesse sur le métier il faut remettre l’ouvrage.
Je veux vous adresser ce soir trois messages.
Le premier concerne la responsabilité des élus dans la respiration républicaine de notre société. Les élus, dont vous êtes, ont en effet une responsabilité particulière. Dans le climat d’hystérisation permanent du débat public, alimenté par des pseudos éditorialistes pyromanes et certains instincts primaires, les élus ont un devoir d’apaisement. Je sais que comme moi, vous déplorez cette dérive où la provocation est érigée en mode de communication dans une course effrénée à la reconnaissance médiatique et à l’électoralisme. Dans la campagne électorale de tous les dangers qui s’annoncent, nous avons besoin de représentants lucides, au sang froid dont l’obsession doit être la cohésion du pays du pays et non pas la division et cette course folle à la surenchère populiste des mots qui, nous le savons tous, conduit toujours à l’affrontement et au pire.
Le second concerne le sursaut républicain que nous appelons de nos voeux. J’ai coutume de dire qu’il y a moins à craindre des extrémistes qui s’expriment que des républicains, avec un petit « R » qui se taisent. Au fond, nous sommes des enfants gâtés et nos valeurs universelles font partie d’un paysage face auquel notre regard a cessé de s’émerveiller.
C’est une faiblesse contre laquelle il faut résister et retrouver le goût de la République, de le goût de la Nation, le goût de la France dans ce qu’elle a d’universel. Nos adversaires, nos ennemis, ont bien compris cette faiblesse et s’y sont engouffrés.
Pour certains d’entre eux, ils nous ont pris nos mots, se sont accaparés de nos symboles. A la veille des grands rendez-vous de 2017, nous avons besoin de dépasser les clivages partisans, de mettre au vestiaire les querelles intestines et de nous rassembler sur l’essentiel, de reconquérir nos mots, nos symboles, nos valeurs. Les républicains doivent sortir de leur paralysie et de renvoyer au terminus des prétentieux les Le Pen, Zemmour, Ménard mais aussi les Tariq Ramadan, les Houria Bouteldjia.
Nous avons le devoir de leur signifier qu’ils sont l’anti-France et que la France, avec son histoire, ses Lumières, ses valeurs, son âme et son espérance, ne peut pas être la France sans l’universalité et la défense d’un principe simple : l’unité biologique du genre humain, en dehors de toutes les considérations raciales, ethniques, religieuses qui s’évertuent à proposer une société à la découpe.
Le troisième concerne les réfugiés. C’est une question de laquelle est née la LICA, liée à l’indignation contre l’antisémitisme qui se répandait contre les populations juives venues d’Europe de l’Est fuyant les pogroms et les persécutions.
Monsieur le Maire, votre ville a conservé l’âme d’une terre d’accueil et de la diversité de ceux qui, venus de partout, s’y sont mélangés. Le Havre, dans les périodes les plus sombres de notre histoire contemporaine, a été un espoir pour tous ceux qui, chassés par la guerre, l’exode et les persécutions, ont tenté de rejoindre l’Angleterre ou l’Amérique.
Le Lycée François 1er du Havre a connu deux enseignants de prestige qui s’y sont succédés dans les années 30 : Raymond Aron et Jean-Paul Sartre. Quelques décennies après leur passage dans votre ville, ces grands intellectuels, aux trajets politiques contrastés, se sont retrouvés sur l’essentiel et sont allés dire au Président Giscard d’Estaing que la France devait ouvrir ses bras et son cœur aux dizaines de milliers de boat people qui, fuyant le totalitarisme, cherchaient un asile, un refuge, un havre.
A travers cet épisode, c’est l’esprit de nos combats communs qui est symbolisé. Notre mission, notre mission historique à la LICRA, est bien de rassembler sur l’essentiel des hommes et des femmes de bonne volonté, au-delà des clivages politiques, et des appartenances partisanes, philosophiques, religieuses.
Aujourd’hui, la France est confrontée au plus grand afflux de réfugiés depuis des décennies. Il y a un an vous obteniez à l’unanimité des 17 villes composant votre communauté d’agglomération, diverses dans leur tradition politique qu’elles prennent leur part à l’accueil des réfugiés venus de Syrie, de Libye, d’Irak et tous ces pays où la liberté a cessé de battre. Il faut tenir bon et persister dans cette voie. Il n’y a pas d’autre chemin, au risque de manquer à l’Histoire dont nous sommes les héritiers. Tout le monde n’en a pas fait autant et d’autres, que je ne nommerai pas, ont pris des positions contraires à la parole de la France, contraires à l’honneur de la France sur la question des réfugiés.
Ce combat est pour la LICRA particulièrement essentiel car il met notre fraternité à l’épreuve et nous permet de prouver que la devise de la République, frappée au fronton de cette maison commune, n’est pas une vaine promesse. Vous le voyez, et ce n’est pas vous que je vais convaincre, la détermination n’est pas une question d’âge et le temps ne fait rien à l’affaire. Même à bientôt 90 ans, la LICRA a conservé l’ardeur et l’enthousiasme de ses combats fondateurs.”
Alain Jakubowicz