Le procès d’Abdelkader Merah et de Fettah Malki se poursuit devant la Cour d’Assises spéciale de Paris, la parole est aux victimes. La LICRA, représentée par Me Sahand Saber et Juliette Chapelle, plaidera demain, vendredi 27 octobre 2017 en début d’après-midi, en tant que partie civile.
Retrouvez ci-dessous la chronique du procès par Henri Seckel pour le journal Le Monde.
Au procès Merah, le jour des victimes
Les proches des personnes assassinées en 2012 par le frère de l’accusé étaient au palais de justice de Paris, mercredi, pour témoigner de leur douleur et de leur colère.
LE MONDE | Par Henri Seckel
Deux visages restent de marbre : celui de la statue de Marianne derrière la cour, et celui d’Abdelkader Merah derrière la vitre de son box. D’abord droit comme un « i », puis avachi sur la balustrade devant lui, celui qui est accusé de complicité des sept assassinats commis par son frère en mars 2012, à Toulouse et à Montauban, ne s’est pas départi de son flegme face aux témoignages des parties civiles, mercredi 25 octobre, qui était la journée des victimes.
Samuel Sandler s’exprime en premier. Il a perdu son fils, Jonathan, et deux petits-fils, Arié et Gabriel, de 5 et 3 ans, dans l’attaque de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse. Sous les yeux de celui qu’il qualifie de « petit Eichmann de quartier », il fait le parallèle entre les crimes de Merah et les crimes nazis, à propos desquels il cite André Malraux : « Pour la première fois, l’homme a donné des leçons à l’enfer. » « Le 19 mars 2012, c’était pire que l’enfer. Comment peut-on exécuter un enfant avec une tétine à la bouche ? C’est le mal absolu. »
Quinze autres proches de victimes viendront face à la cour ajouter leur douleur incurable. Il faudra quasiment la journée entière pour entendre tout le monde, et l’on songe déjà au défi que sera l’organisation des procès du 13-Novembre (130 morts) ou du 14-Juillet (86 morts). Chacun exprime sa colère à sa manière. Les sanglots masquent parfois les propos. Certains parlent d’une traite, d’autres lisent leurs notes. Beaucoup refusent de formuler le nom d’Abdelkader Merah. Le mot-valise « nazislamiste » est prononcé deux fois.
« Je ne connais pas cet islam »
Caroline Chennouf, dont le mari, Abel Chennouf, a été tué à Montauban alors qu’elle était enceinte de six mois, a finalement rebroussé chemin au moment d’aller témoigner, tétanisée par l’émotion. Alors c’est sa mère qui a raconté à sa place qu’elle avait tenté de se suicider après avoir accouché.
Ahlem Legouad a évoqué son infarctus après la mort de son frère Mohamed, lui aussi tué à Montauban. Il a été question de la fuite vers Israël des uns, des dépressions des autres, des familles déchirées. Outrées aussi, parfois, par l’attitude des policiers : « La première question qu’on m’a posée, c’est “est-ce que votre fils touchait aux stupéfiants ?” », raconte Albert Chennouf, le père d’Abel. La famille d’Imad Ibn Ziaten, première victime de Mohamed Merah, a subi la même offense.
Loïc Liber a témoigné depuis sa chambre d’hôpital : l’ancien soldat de 33 ans a survécu à l’attaque de Montauban, mais une balle au niveau des cervicales l’a laissé dans un fauteuil roulant, tétraplégique. Faute de souffle, il ne peut prononcer ses phrases d’une traite. « Cela fait cinq ans que j’ai perdu mon indépendance. Le fait de ne plus pouvoir marcher m’est insupportable. Chaque jour, je dois prendre une forte dose de médicaments afin de diminuer mes douleurs physiques. La douleur psychologique est insupportable également. A chaque réveil, plus forte, plus vive. Je suis littéralement épuisé. »
Les familles des deux victimes musulmanes – Imad Ibn Ziaten et Mohamed Legouad – ont vigoureusement pris la défense de leur religion, qu’elles estiment détournée par le clan Merah : « Cet islam-là, je ne le connais pas, a lancé Ahlem Legouad. C’est une couverture pour leur religion qui est le terrorisme. » Et puis, au milieu de cet océan de chagrins personnels, de récits intimes, d’anecdotes sur l’être perdu, il y a eu Hatim Ibn Ziaten. « Je ne vais pas divulguer ma souffrance, a-t-il commencé, le verbe sûr. Bien entendu qu’on a été meurtris, bien entendu que mon frère me manque énormément. » L’aîné de la fratrie n’est pas venu parler de lui. Ses premiers mots sont pour une victime dont on n’avait pas encore vu passer le nom : la République.
Charge symbolique
« Mohamed Merah a dit à mon frère : “Tu tues mes frères en Afghanistan, je te tue.”Qu’est-ce que ça veut dire “ses frères” ? Mes frères, ce sont tous ceux qui grandissent dans le respect de la République. Je suis révolté quand j’entends parler [Abdelkader Merah]. Il dit ouvertement qu’il n’adhère pas aux lois de la République. Il fait la distinction entre les lois qui régissent notre société civile et ses propres lois. Cette distinction est pernicieuse, cela ouvre la porte à beaucoup de haine. Il ne fait pas partie de cette société, et le paradoxe, c’est qu’il est défendu par des avocats dans l’esprit d’égalité de notre République. »
« L’affaire Merah, c’est la mère de tous les attentats islamistes en France », lancera, dans la foulée, Albert Chennouf. Derrière les morts de Toulouse et de Montauban, il y a les familles, et un pays frappé par une vague terroriste depuis 2012. Dans la salle Voltaire secouée, il est apparu clairement que le procès Merah serait, comme ceux des attentats suivants, un puissant moment de catharsis nationale, et que cela aurait peut-être une influence sur son issue.
Certains proches ont appelé les magistrats à la fermeté : « Ce n’est pas possible qu’un gars de 23 ans ait fait ça tout seul », a dit Radia Legouad, la sœur du soldat tué. « Si l’accusé est remis en liberté, ce sera une bombe qui explosera dans quelque temps », a prévenu la belle-mère d’Abel Chennouf. « Déterminer la culpabilité relève uniquement de la compétence de cette cour », a dû rappeler le président à plusieurs reprises.
« Je sais que l’opinion publique ne franchira pas les portes de cette enceinte », avait voulu se persuader Me Dupond-Moretti, avocat d’Abdelkader Merah, lors d’une des premières audiences. La charge symbolique de ce procès risque pourtant de peser de tout son poids sur les épaules des cinq magistrats professionnels, particulièrement jeunes, qui entourent le président de la cour et qui rendront avec lui leur verdict jeudi 2 novembre.
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