Gheorghe n’a que 16 ans. C’est un Rom qui habite à quelques mètres de la Cité des Poètes, bien mal nommée puisque c’est de là que venaient ses agresseurs. Ce coin déshérité de Seine-Saint-Denis est habitué depuis longtemps à la présence de Roms, mais la situation s’est dégradée depuis quelques semaines, au fur et à mesure que grossissait le bidonville mitoyen d’un pavillon en ruines, jusqu’à atteindre près de deux cents personnes.
Exaspération des habitants de la Cité des Poètes face au chantier de réhabilitation dévalisé, aux vitres de voitures brisées pour permettre de petits larcins, aux réservoirs d’essence siphonnés.
Les faits ne sont pas encore établis à l’heure où nous écrivons. Gheorghe, soupçonné d’être l’auteur d’un petit vol, a été retrouvé, le 13 juin, dans un chariot de supermarché, sur le bord de la nationale 1, lynché par un groupe d’habitants de cette cité.
En fait, Gheorghe aurait été surpris par un jeune garçon en train de dérober une boîte de bijoux. Il semble qu’une opération punitive se soit rapidement montée pour s’emparer du jeune Rom signalé comme portant un tee-shirt rouge, à l’initiative d’une bande armée et en partie cagoulée. Un porte-parole de ces « justiciers » aurait même contacté les parents de Gheorghe pour réclamer de l’argent contre la libération du jeune délinquant. Puis, fin de ce chantage et, dans la nuit, on retrouve le Rom, le visage tuméfié, dans un état lamentable. Dix jours après les faits, il est toujours dans le coma… A l’heure où nous mettons sous presse, le parquet de Bobigny indique que l’état de santé du jeune Rom est « en phase d’amélioration ».
Pourtant, c’est à la justice que revient un rôle irremplaçable : établir les faits, rechercher les coupables, déterminer les responsabilités, décider des sanctions, et proposer des mesures préventives. On ne peut se faire justice soi-même.
Tous ceux qui sont allés enquêter sur place en témoignent : personne, dans le quartier, n’accepte de parler de crime raciste. Vous avez dit racisme ? « C’est une bande d’ados qui se sont vengés », dit-on. Les rares témoignages sont contradictoires.
Il n’y aurait, en France, que 17 000 Roms
Aujourd’hui les actes de violence à l’encontre des Roms sont trop souvent admis. On les présente comme réfractaires à l’intégration, et on explique facilement la violence… quand on ne l’excuse pas. Certains élus locaux, députés ou ministres, stigmatisent cette population et contribuent à installer cette atmosphère de préface au pogrom. On évacue les campements illégaux où vivent ces familles, dont le nombre a augmenté avec l’entrée, en 2007, de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union Européenne. Ils ne seraient pourtant que 17 000 en France.
Une circulaire d’août 2012 encadre en principe ces évacuations, en proposant des parcours d’intégration avec logement, formation et emploi… hélas diversement appliqués, car soumis à des critères que les Roms ont du mal à remplir (abandon des trafics, scolarisation des enfants, maîtrise du français).
Trop souvent, des écoles refusent les enfants, arguant du fait qu’ils n’ont pas d’adresse fixe : en effet, de nombreuses municipalités refusent de donner une adresse administrative aux bidonvilles, pour éviter une sédentarisation, fût-elle provisoire, qui feraient de ces Roms d’éventuels candidats aux logements sociaux déjà trop rares. D’où la nomadisation continue de ces populations, d’un bidonville à l’autre, en région parisienne, à Lyon ou Marseille. Ceux qui habitent dans la proximité de ces bidonvilles développent d’autant plus de peurs que les rumeurs les plus folles se répandent à propos des Roms, dont la situation économique et sociale explique mais ne justifie pas la délinquance. Pour combattre le racisme ordinaire qui peut aller jusqu’à tuer, il faut améliorer la politique d’intégration de ces Européens, et exiger des élus qu’ils fournissent à cette minorité eau, toilettes, poubelles et scolarisation des enfants.
Le lynchage de Gheorghe doit provoquer une prise de conscience de nos concitoyens.