Présidente du Front national depuis janvier 2011, Marine Le Pen n’a pas ménagé sa peine pour « dédiaboliser » la formation politique fondée par son père il y a plus de quarante ans. Ce travail de « normalisation » s’est traduit, depuis trois ans, par un lissage du discours public de ses leaders, mais aussi et surtout par le débauchage de nombreuses personnalités qui s’étaient parfois révélées très critiques avec ce parti dans le passé. Ces efforts devaient contribuer à redorer le blason du parti. Ils se sont accompagnés d’une intense campagne d’intimidation des médias, qui se sont retrouvés menacés de poursuites s’ils continuaient à désigner « le Front » comme une formation d’extrême droite.
Des témoignages concordants
Cette apparente « refondation » aura fait long feu. Depuis quelques semaines, l’image du FN est en effet sérieusement écornée par une série de révélations provenant de « repentis » du lepénisme. Des dizaines d’anciens militants frontistes, séduits un moment par le « changement de ton » de la présidente de ce parti, en ont démissionné ces derniers mois.
Ils déclarent tous avoir constaté in situ que le ravalement de façade du FN ne s’est accompagné d’aucune remise en question idéologique. Tous décrivent un « choc de réalité ». Leurs
témoignages concordants décrivent le recours banal à une terminologie raciste au sein même de l’appareil. Terminologie qui tranche avec les déclarations publiques des figures médiatiques du parti, qui ont pris grand soin de se démarquer des outrances verbales de Jean-Marie Le Pen.
Vincent Morelle, ancien directeur de campagne d’une candidate FN de Meaux (Photo Vincent Nguyen. Riva-Press)
Un antisémitisme banalisé
Vincent Morelle, 24 ans, était, jusqu’en janvier dernier, directeur de campagne de Béatrice Roullaud, candidate FN aux municipales à Meaux (Seine-et-Marne). Cet ancien UMP qui se déclare « souverainiste » avait été séduit par le discours anti-européen de Marine Le Pen. Au point de prendre la carte du FN en avril 2013. Moins d’un an plus tard, il a choisi de quitter ses rangs avec fracas : « stupéfait » et « heurté » par les propos tenus dans les coulisses du mouvement « Bleu Marine ».
Aux journalistes qui l’ont beaucoup sollicité ces derniers jours, Vincent Morelle a répété que « le FN essaie de passer un coup d’éponge sur une vitrine pleine de poussière. On met un drap neuf, mais derrière, l’arrière-boutique n’a pas changé ». Le jeune homme, originaire du sud de la France, a été choqué d’entendre, « en réunion départementale », désigner le patron de l’UMP « non pas sous son nom de Copé mais sous celui de “Copelovici” » (en référence aux origines juives roumaines du député-maire de Meaux, NDLR). Mais plus encore par le fait que, dans l’auditoire, personne n’osait se démarquer de ce discours nauséabond. A l’inauguration d’une permanence à La Ferté-sous-Jouarre, en décembre, il a entendu la garde des Sceaux Christiane Taubira traitée de « sale guenon », ou Franck Riester de « pédale ». Des propos indignes, qui sont loin d’être isolés. Et qui s’accompagnaient, en d’autres circonstances, de considérations racistes et antisémites qui, de toute évidence, ne distinguent pas beaucoup le discours de la base du FN de celui du mouvement grec « l’Aube dorée ».
Un sexisme brutal et antimusulman
Anna Rosso-Roig, 45 ans, a suivi le même chemin. L’ancienne candidate du Front de gauche aux législatives de 2012 dans les Bouches-du-Rhône était présentée, en mai dernier, comme « une prise de choix » par la direction du FN, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon ayant clairement placé le parti de la famille Le Pen hors du champ démocratique. Même si les motivations profondes de son passage d’un extrême à l’autre du spectre politique demeuraient obscures (elle évoque sans plus de détail « un événement personnel dramatique » qui lui a ouvert les yeux sur les problèmes du pays, « une étincelle (…) qui m’a fait changer d’avis », cette « catholique pratiquante », visiblement horripilée par l’adoption du mariage pour tous, aura mis sept mois avant de prendre la mesure du vrai visage du FN, qu’elle décrit aujourd’hui comme foncièrement « antimusulman », « brutal » et « sexiste ».