Madame la Maire de Paris,
Madame la Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
Monsieur le Secrétaire d’Etat, chargé de la réforme de l’Etat et de la simplification,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
En arrivant ici ce soir, Madame la Maire, nous avons pu admirer, accrochée aux grilles de l’Hôtel de Ville, une belle exposition sur les risques d’une crue centennale de la Seine. Mais il n’y a pas que la montée des eaux qui menace. Le flot de vase noire du populisme, du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme paraît parfois, lui aussi, échapper à tout contrôle…
Merci, Madame la Maire, de nous accueillir dans les salons de la Maison Commune de Paris pour faire barrage. Merci à vous, Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les élus, hommes et femmes d’entreprise, de la culture, du sport, des associations et des médias, merci pour votre présence nombreuse, qui témoigne de l’intérêt que vous portez au travail que nos militants réalisent chaque jour depuis près d’un siècle, pour promouvoir les valeurs de la République. Leur action fait rarement la « une » des journaux, car c’est un travail de l’ombre, patient et obstiné, dans les écoles, dans les clubs sportifs, dans les entreprises, auprès des collectivités territoriales, sur les réseaux sociaux, où la haine se propage à la vitesse inédite de la transmission virale. Votre présence est un réconfort. Car je veux vous le dire, il nous arrive de nous sentir bien seuls…
Jusqu’à une période récente, les choses étaient simples. Il y avait les victimes et les coupables ; impossible de les confondre, tant ils étaient aisément identifiables. C’était comme dans La Peste d’Albert Camus : d’un côté, le bacille qui répand la terreur, et ceux qui tirent profit de son inexorable progression ; de l’autre, le médecin et ceux qui soutiennent son combat.
Mais, pour filer la métaphore médicale, le bacille du racisme et de l’antisémitisme a aujourd’hui muté. Sous sa forme nouvelle, il est parfois méconnaissable et déconcerte ceux dont la mission est de le combattre. Hier, le raciste était obligatoirement de droite, blanc, chrétien… Aujourd’hui, il peut n’être rien de tout cela et appartenir à l’une de ces minorités dont les membres se voyaient naguère, presque automatiquement, décerner un brevet de victime. Bref, comme le constatait Michel WIEVIORKA lors d’un débat du Cercle de la LICRA, dans notre société fragmentée et multiculturelle, « chacun peut être à la fois victime et coupable de racisme. »
L’arène où nous affrontions l’adversaire a été, ces dernières années, le théâtre d’une triple rupture : la banalisation de l’antisémitisme ; l’irruption de l’islam dans le débat sur l’antiracisme ; et enfin les habits neufs d’un Front national qui prétend nous convaincre qu’il s’est « républicanisé ».
Analyser cette mutation, sans éluder les responsabilités et en déduire quelques principes pour l’action de la LICRA, c’est à quoi je voudrais m’essayer avec vous.
Premier point : l’antisémitisme s’est banalisé et il s’est diversifié…
Après qu’Hitler eut « déshonoré l’antisémitisme » selon le mot célèbre de Georges BERNANOS, une période s’est ouverte, au cours de laquelle les antisémites faisaient profil bas. Cette époque est révolue. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui, la moitié des attentats racistes en France touche des juifs, alors qu’ils représentent moins de 1% de la population !
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Le 14 mai 1990, après la profanation du cimetière de Carpentras, c’est par centaines de milliers que nous manifestions et le Président de la République, François MITTERRAND, était en tête du cortège parisien. Après le martyre d’Ilan HALIMI, en 2006, ou les crimes abominables de Mohammed MERAH en 2012, combien étions à dire notre horreur et notre indignation ? Pas très nombreux hélas. Peu de temps après, en 2014, on criait « mort aux juifs ! » dans les rues de Paris, pour la première fois depuis la Libération, dans une indifférence quasi générale. Et de fait, voici qu’en 2015 et en 2016, on tue des juifs en France simplement parce qu’ils sont juifs.
L’antisémitisme contemporain présente un triple visage.
Le premier, qu’on connait le mieux, est celui de l’extrême-droite, qui doit estimer que le délai de décence imposé par le génocide des juifs est désormais écoulé.
Le deuxième visage n’est pas non plus vraiment nouveau mais nous préoccupe davantage parce qu’on le connait moins : c’est celui qui touche certains de nos compatriotes musulmans. Cet antisémitisme-là, on le sait, est endémique dans une bonne partie du monde arabe et musulman. De l’Arabie saoudite à l’Iran, sunnites et shi’ites, pour une fois d’accord, font un succès de librairie à des faux grossiers tels que les Protocoles des sages de Sion.
En France, le phénomène est d’autant plus troublant qu’il s’agit le plus souvent de personnes elles-mêmes victimes du racisme. C’est pourquoi, à droite comme à gauche, les pouvoirs publics – vous le savez bien… – ont longtemps nié l’évidence, minimisé les faits, refusé par exemple d’admettre que dans certains quartiers, il devenait presque impossible d’enseigner la Shoah. Mais les faits sont têtus et le mal est désormais presque partout présent.
Mais c’est le troisième visage de ce nouvel antisémitisme qui est sans doute le plus déconcertant : il affecte en effet des hommes et des femmes souvent issus des rangs de la gauche, nourris au lait de l’antiracisme le plus intransigeant, défenseurs farouches des droits humains. Bernard-Henri LÉVY a remarquablement analysé ce phénomène au début de son dernier essai, L’Esprit du judaïsme, dont le premier chapitre est significativement intitulé « Les habits neufs de la plus vieille des haines ». Il y remarque – je le cite – que « l’antisémitisme est un délire très spécial dont l’une des particularités a toujours été, à chacune des étapes de son histoire, de choisir les justes mots qui donneront à sa déraison les apparences de la raison ».
Le nouvel antisémitisme repose sur une alliance de trois thèmes, dont chacun, pris isolément, est d’une efficacité redoutable, mais qui « montés et branchés l’un sur l’autre », ont le pouvoir destructeur d’une « bombe atomique morale ». Ces trois moteurs sont l’argument antisioniste, qui entretient sciemment la confusion entre « juif » et « sioniste » et, en diabolisant Israël, prétend transformer les anciennes victimes en bourreaux ; l’argument négationniste, pour qui les juifs instrumentalisent à leur bénéfice un crime dont ils exagèrent la portée ; et enfin celui de la concurrence des mémoires, qui accuse les juifs de minimiser les malheurs des autres peuples. Ce sont ces trois moteurs « qui permettent à la vieille haine de retrouver une nouvelle jeunesse et à nos contemporains d’être antisémites en ayant le sentiment de ne pas l’être ».
La deuxième rupture est due à l’irruption de l’islam dans le débat sur l’antiracisme.
En janvier 2015, au lendemain de l’assassinat des journalistes de Charlie-Hebdo, le grand public et les médias s’emparent d’un débat qui ne touchait jusque-là que les milieux intellectuels. Droit au blasphème et laïcité, islam et islamisme, communautarisme et islamophobie, tels sont quelques-unes des notions, pas toujours bien maîtrisées, autour desquelles le ton est rapidement monté.
C’est que, pendant trop d’années, on s’était soigneusement abstenu de nommer les choses. Ce déni de réalité n’a fait qu’aggraver les difficultés. Nous en payons aujourd’hui le prix.
On qualifiait, par euphémisme, de « discrimination » ce qu’il aurait fallu appeler par son nom : le racisme anti-arabe. On nommait « incivilités » des comportements dictés par la haine antisémite.
Que de circonlocutions embarrassées pour éviter de qualifier de crime antisémite le calvaire et l’assassinat d’Ilan HALIMI ! Encore récemment, quelle stupéfaction d’entendre un ancien ministre du Budget affirmer que les tueries commises par Mohammed MERAH devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse n’étaient que « le crime d’un furieux » !
Mais c’est autour du concept d’islamophobie que la confusion est à son comble ; cette accusation infâmante, qui interdit toute discussion tant elle paralyse d’effroi ceux qui l’encourent, est un dévoiement du combat antiraciste. Critiquer une croyance ou une pratique religieuse n’a rien en France d’illégal ni même d’illégitime. Cela n’a rien à voir avec le racisme ! Le racisme consiste à s’attaquer à des individus pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils font.
Nous appelons à distinguer soigneusement l’islam et les « quatre lettres de malheur » qui le font basculer dans l’islamisme. Nul n’est plus soucieux que nous d’éviter de jeter le discrédit sur l’immense majorité des musulmans de France, qui ne demandent qu’à pratiquer pacifiquement leur religion. Mais nous savons aussi qu’il ne suffit pas de décréter, par crainte des amalgames, que ce qui inspire les terroristes, « ce n’est pas l’islam ». Ces assassins se réclament bel et bien de l’islam, citent le Coran et trouvent des cautions théologiques plus ou moins explicites dans divers pays musulmans.
C’est pourquoi il faut soutenir ces musulmans courageux, tels le regretté Abdelwahab MEDDEB, Malek CHEBBEL et tant d’autres, qui ont entrepris de relire les textes sacrés pour rendre à jamais impossible l’interprétation mortifère que s’autorisent à en faire les terroristes. Eux seuls ont la compétence et la légitimité nécessaires à cette entreprise. Je songe aussi à ces écrivains et à ces journalistes, non moins courageux, tels Boualem SANSAL et Mohamed SIFAOUI, qui nous ont fait l’amitié de participer à nos travaux cette après-midi, ou Kamel DAOUD, qui ont mis tout leur talent, leur courage et leur énergie à dénoncer les mensonges sur lesquels s’appuie cette idéologie meurtrière. Kamel DAOUD qu’en ce moment même on essaie de réduire au silence, en l’accusant d’islamophobie, alors qu’en dénonçant les islamistes, ces intellectuels défendent les musulmans et l’honneur de l’islam. C’est là une évidence qu’il faut marteler sans se lasser, à tous ceux qui pourraient être tentés de croire que parce que l’assassin s’appelait Mohammed, tous les Mohammed seraient des assassins. L’un des militaires assassinés par MERAH s’appelait Mohammed. Il n’était coupable de rien, si ce n’est, aux yeux de son assassin, de s’appeler Mohammed et d’être un militaire français.
Ce n’est pas en s’épuisant en polémiques stériles autour de la laïcité, qui ne font que le jeu des extrémistes, qu’on fera baisser les tensions, mais en prenant la mesure du problème, et en répondant aux appels de plus en plus pressants des chefs d’établissements scolaires, des responsables hospitaliers, des chefs d’entreprise, qui se sentent bien démunis pour faire face à la présence massive du fait religieux à l’école, à l’hôpital, dans les bureaux et les usines.
La troisième et dernière rupture à laquelle nous avons assisté au cours de ces dernières années, c’est la métamorphose supposée du Front national en un parti républicain.
Depuis que Marine LE PEN a succédé à son père et qu’elle a entrepris, avec une habileté que nul ne lui contestera, de « dédiaboliser » sa formation politique, elle vole de succès en succès et beaucoup d’entre nous se demandent, pour plagier Bertolt BRECHT, si cette ascension est résistible.
Nous sommes convaincus, à la LICRA, que si la façade a été hâtivement ravalée, le fonds de commerce, lui, ne s’est guère renouvelé. Sur fond d’attentats terroristes, de crise des réfugiés, de montée de l’euroscepticisme et de peur du chômage, le Front national engrange des voix en brandissant, comme toujours et peut-être plus que jamais, le spectre de l’invasion étrangère – comprenons bien sûr de la menace musulmane – et en prônant le repli nationaliste. Aujourd’hui comme hier, le Front national divise les Français et foule aux pieds les valeurs de la République en prétendant incarner une défense ombrageuse de la laïcité prétendument menacée par l’islam.
Une question jette cependant le trouble depuis quelque temps : le Front national a-t-il renoncé à l’antisémitisme de ses origines, dont les dérapages nauséabonds de son fondateur n’étaient que l’expression la plus visible ? Pour nous le faire croire, Marine LE PEN et ses plus proches lieutenants ne ménagent pas leurs efforts, mais ne nous y trompons pas. Non seulement le gros des troupes a du mal à renoncer à son discours traditionnel, mais surtout chacun voit bien que même chez les cadres directeurs du parti, il s’agit d’une habileté tactique. Louis ALIOT, vice-président du parti, a vendu lui-même involontairement la mèche dans un entretien avec l’historienne Valérie IGOUNET, à qui il déclarait (NDLR :interview de Valérie IGOUNET dans Télérama du 3 juin 2014) : « C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela. À partir du moment où vous faites sauter le verrou de l’antisémitisme, vous libérez le reste. »
Le plus préoccupant, plus encore peut-être que les succès électoraux d’un FN qui serait devenu fréquentable, c’est la perfusion de ses idées dans de larges secteurs de l’opinion publique. À quoi servirait le plafond de verre qui, paraît-il, empêche la présidente de ce parti d’accéder aux responsabilités suprêmes, si ses idées, à défaut de sa personne, devaient parvenir au pouvoir ?
Voici donc où nous en sommes aujourd’hui. Les métamorphoses imprévues de l’antisémitisme, les paradoxes liés au concept d’islamophobie, les sirènes d’un Front national soi-disant républicanisé : face à cette situation déconcertante, il importe que la LICRA demeure fidèle à quelques grands principes. Je voudrais vous en proposer trois.
Le premier est l’indépendance. C’est, depuis toujours, la spécificité de la LICRA et le gage de sa crédibilité. Nous n’avons, en tant qu’organisation, aucune attache philosophique ni politique. Nos militants peuvent revendiquer les origines les plus diverses ; ils proviennent de tous les horizons et appartiennent à toutes les obédiences politiques – à l’exception bien sûr de l’extrême-droite – et à toutes les religions, y compris celle qui consiste à ne pas en avoir. Et ils combattent toutes les formes de racisme, sans exception.
C’est là, j’y insiste, un trait qui caractérise la LICRA. C’est notre fierté. C’est aussi notre responsabilité.
Le deuxième principe, c’est la volonté de dialogue.
Nous avons en effet la passion de convaincre. Et nous sommes d’incurables optimistes, convaincus que « quand on veut, on peut ».
Bien sûr, nous ne sommes pas naïfs au point de croire que notre parole aurait le pouvoir de convertir les idéologues, que nos arguments pourraient, selon la superbe expression d’Albert COHEN, « arracher les canines de leur âme ». Ceux pour qui racisme et antisémitisme sont un fonds de commerce ordinaire et une source importante de revenus, nous ne les changerons évidemment pas. Il ne faut pas renoncer cependant à leur porter la contradiction, pour les empêcher de contaminer d’autres esprits.
En revanche, nous devons combattre avec acharnement, par le dialogue et le travail de terrain, le racisme et l’antisémitisme des ignorants, qui est le plus répandu. Je pense aux jeunes musulmans mal informés et intoxiqués par une haine abstraite du juif, mais aussi à ces milieux où se développe une peur panique de tout ce qui est musulman, à cause des attentats sanglants et de la conviction qu’une invasion massive est en cours.
Apprendre à leur parler, développer sans faux-fuyants l’argumentaire adéquat afin de détruire les stéréotypes qui alimentent les préjugés, voilà notre tâche. Elle est immense, et elle est exaltante. Je crois au pouvoir de la parole. Dans un entretien avec la rabbine Delphine HORVILLEUR, le grand Umberto ECO, qui vient de disparaître, à la question « Quels sont les moyens de lutter aujourd’hui contre l’intolérance ? », répondait avec son humour habituel : « Il n’y a rien à faire, sinon la parole. Le racisme est une maladie mentale. Moi aussi, je suis parfois irrité par les autres, mais j’essaie de le surmonter ! Le problème, ce n’est pas d’être touché par la différence. C’est de s’éduquer à son acceptation. » (NDLR : Umberto ECO, « Le racisme est une maladie mentale », entretien avec Delphine HORVILLEUR, Le Figaro Madame, 17 avril 2011).
Le troisième principe enfin, c’est la fraternité.
C’est notre réponse aux actes de barbarie qui se sont multipliés ces derniers temps et qui, en insufflant la peur, tentent de mettre à mal le vivre ensemble dans notre société et de mettre à l’épreuve notre attachement aux valeurs républicaines. C’est pourquoi nous avons tant besoin de nous retrouver, d’être ensemble pour nous sentir humains : nous avons besoin de solidarité et de fraternité.
Fraternité avec toutes les victimes de la haine de l’autre. Avec les Noirs, et je note avec tristesse que les injures ignobles proférées contre Christiane TAUBIRA ont parfois tardé à susciter la réprobation que l’on était en droit d’attendre. Avec les Roms, si indignement traités quelquefois par nos gouvernements successifs. Avec les juifs et les musulmans, qui sont aujourd’hui les premières victimes du racisme.
Fraternité enfin avec les réfugiés. J’entends dire que la France, qui en accueille si peu, ne saurait en accueillir davantage, et cela me fait honte. Je vois qu’on se réjouit ouvertement que tant de migrants refusent de rester en France, et cela me fait honte. Je constate que désormais la France n’est plus « la patrie des droits de l’homme » mais plutôt, comme le remarquait Robert BADINTER avec une ironie amère, « la patrie des déclarations des droits de l’homme » et cela me fait honte. Les juifs disaient autrefois : « heureux comme Dieu en France ! ». Je voudrais, pour laver cette honte, qu’on puisse dire un jour, comme naguère pour les juifs : « heureux comme un réfugié en France ! »
Nous pensons à la LICRA que, lorsqu’en Syrie comme au Darfour, un père de famille décide de transplanter sa famille dans un pays dont elle ignore la langue, la culture, l’histoire, la religion, ce n’est certainement pas dans l’espoir de toucher des allocations familiales. Ce qu’ils fuient, ce sont des massacres tout à fait analogues aux pogroms des années 20, qui ont conduit à la création de la LICRA. Écoutez ce que disait, en 1930, notre fondateur Bernard LECACHE : « Notre devoir, c’est d’assister les errants du nouvel exode avec tous les égards qui sont dus à des hommes dont brusquement le destin s’effondre… Nous ne voulons pas que les malheureux échoués ici aient l’impression d’être traités en clochards. Nous voulons qu’ils gardent avant tout le sentiment de leur dignité. Leur venue parmi nous ne doit pas les abaisser à leurs propres yeux. Des temps meilleurs viendront pour eux, il faut l’espérer. Qu’ils ne conservent pas de leur passage ici le souvenir d’une déchéance ». Il n’y a pas un mot à changer…
C’est donc sur un appel à la fraternité que je voudrais conclure. Vous le savez, nous aimons à répéter à la LICRA la belle formule de Martin LUTHER KING : « Vivons ensemble comme des frères, ou nous périrons ensemble comme des fous ! ». (NDLR : We must learn to live together as brothers or perish together as fools.” Martin LUTHER KING, discours à St-Louis (Missouri), 22 mars 1964).
Car nous sommes tous concernés. Si les juifs, les Noirs, les Roms, les musulmans ou les réfugiés sont les victimes directes de cette haine de l’autre, la violence qu’engendrent le racisme et l’antisémitisme nous menace tous. Elle est donc notre affaire à tous. Si nous oublions les valeurs qui fondent notre République, si nous ne parvenons pas à extirper, chez chacun d’entre nous, les racines du mal, nous serons les victimes indirectes de cette maladie de l’âme. Jean-Paul SARTRE dans ses Réflexions sur la question juive, cite l’écrivain noir Richard WRIGHT qui faisait finement remarquer :
« Il n’y a pas de problème noir aux États-Unis, il n’y a qu’un problème blanc. » – et SARTRE d’ajouter : « Nous dirons de la même façon que l’antisémitisme n’est pas un problème juif : c’est notre problème ».
Madame la Ministre, Madame la Maire, chers amis, dans ce combat, la LICRA est en première ligne et je voudrais redire ici mon estime et mon admiration à nos militants, qui, dans des circonstances de jour en jour plus difficiles, s’efforcent de faire entendre leur message de fraternité et de raison, sans jamais céder au découragement.
Mais nos militants ont besoin de vous, ils comptent sur vous. Ils attendent des femmes et des hommes politiques qu’ils incarnent véritablement les valeurs républicaines, qu’ils opposent aux thèses populistes la force tranquille de leurs convictions : ce n’est ni en offensant les réfugiés ou les musulmans, ni en cédant au chantage à l’islamophobie qu’ils triompheront de la déraison ambiante. Nos militants comptent aussi sur les journalistes pour éclairer une situation complexe sans céder à la tentation de la facilité et en refusant les amalgames – tous les amalgames. Ils comptent sur les chefs d’entreprise, car le monde du travail est aujourd’hui le théâtre d’assauts furieux contre la laïcité et la fraternité.
Ce que les militants de la LICRA attendent, en somme, c’est un peu de lucidité… et beaucoup de courage. Ce courage qui nous permettra, comme l’a si bien écrit JAURÈS, « ‘de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe. »