Sans recourir à la notion piégeuse d’islamophobie, il faut s’attaquer aux racines européennes et françaises du « racisme » anti-musulmans, ce faux-nez du racisme anti-Maghrébins qui fait actuellement son retour.
Il ne fait pas bon être arabe et musulman en ce début d’année 2016 en France. Devons-nous le rappeler ? Car même si le racisme ségrégatif continuait à sévir, on aurait pu être tenté de souligner tous les efforts et tous les succès de l’intégration des « beurs » que cette nouvelle appellation dédouanait d’être arabe, et encore plus d’être musulman.
Qui d’ailleurs s’en souciait, à l’époque des marches de l’Egalité ? Personne et surtout pas « eux », les militants des cités qui revendiquaient d’être français et d’être traités comme tels, à égalité : l’islam n’était alors ni un sujet, ni un problème.
CONTRE TOUTE RÉDUCTION À UNE IDENTITÉ CONFESSIONNELLE…
« Il y a, comme se plaît à le rappeler Enrico Macias, des Arabes juifs, des Arabes chrétiens et des Arabes musulmans.. »
Il n’en est plus de même aujourd’hui. Au racisme ségrégatif s’est ajouté le soupçon, dont personne n’est exempt, qui se porte indistinctement sur tous ceux et celles qui, en France, sont présumés avoir des origines arabes, et donc – c’est aussi là où le bât blesse – musulmanes. Faut-il rappeler qu’ « être arabe », si tant est que cette identité ethnicisée ait un sens, n’est de toute façon pas une religion : il y a, comme se plaît à le rappeler Enrico Macias, des Arabes juifs, des Arabes chrétiens et des Arabes musulmans.
Mais ce n’est pas à un simple déni de diversité confessionnelle ou culturelle du (ou des) monde(s) arabe(s) qu’on doit se confronter, mais à deux autres constantes du racisme : l’assignation aux origines qui suppose que l’on est nécessairement déterminé par l’origine présumée qu’on vous colle à la peau et à l’âme ; la réduction de l’identité arabe à une identité essentialisante, confessionnelle, islamique, qui plus est nécessairement suspecte de complicité terroriste.
Il ne fait donc pas bon d’être identifié comme musulman aujourd’hui en France : car il est difficile de ne pas être assimilé à l’un des terroristes qui ont frappé à quatre reprises des citoyens, parce que journalistes, policiers, juifs, ou passants aimant la dolce vita des bars, des concerts et des restaurants.
… QUI EST UNE AUBAINE POUR LES NOSTALGIQUES DES RATONNADES
L’équation est redoutable : s’il est, bien sûr, évident que tous les musulmans ne sont pas des terroristes, il n’en reste pas moins que tous ces terroristes-là sont musulmans, ou du moins se revendiquent d’un verus islam qui s’affronte et se confronte à un islam occidentalisé et tenu pour dévoyé par les partisans du califat islamique. Et le problème, c’est que, même minoritaires, ils sont légion à travers le monde et se présentent néanmoins, malgré leurs attributs salafistes, comme des « musulmans modérés ». Il est donc difficile de s’y retrouver !
CONTRE LE PRIMAT DE LA RELIGION
Il est en même temps clair que l’aubaine n’est que trop belle pour ceux et celles qui regrettent le temps des « ratonnades » d’en remettre une couche contre les Maghrébins, en se prévalant d’un racisme antimusulman qui se pare de légitimité. Ne nous laissons donc pas prendre à ce piège que nous tendent les extrémistes de tout poil ! Le racisme antimusulman n’est que le faux nez du racisme antimaghrébin.
Mais faut-il pour autant crier – avec les loups – à l’islamophobie ? Nous pensons, à la Licra, que non.
L’islamophobie, étymologiquement, signifie la « peur de l’Islam ». Si certains chercheurs affirment que le mot est apparu dès 1925, son usage courant ne s’est répandu qu’à partir des attentats contre les Twin Towers à New York, le 11 septembre 2001, acte de naissance de l’Islam radical et politique, l’islamisme.
Admettre ce terme en remplacement de celui de racisme antimusulman, cela revient à accepter l’idée que, finalement, les hommes ne sont rien, que seule la religion fait d’eux ce qu’ils sont, les déterminant par avance à être nécessairement soumis, fidèles ou infidèles.
MAIS OÙ EST « L’AMALGAME » ?
Si l’on peut parler d’amalgame, autre mot-valise utilisé pour masquer ce qui, dans l’islam, serait susceptible de nourrir l’islamisme, c’est bien à propos de ce fameux concept forgé par les islamistes eux-mêmes, et Tarik Ramadan en tête, pour créer la confusion entre la religion musulmane, l’islamisme et le racisme antimusulman.
Autant la critique de l’islam est libre dans notre démocratie et doit le rester, autant la haine du musulman est proscrite par la loi. On peut donc avoir des raisons d’être « islamophobe » et dire, comme Elisabeth Badinter, qu’il ne faut « pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, qui a été pendant pas mal d’années l’interdiction de parler […]. A partir du moment où les gens auront compris que c’est une arme contre la laïcité, peut-être qu’ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses. »
« Pas d’amalgame ? » Oui, mais cela implique de prendre des risques et de montrer qu’on se désolidarise totalement de ceux qui voudraient voir tous les musulmans coller à l’islamisme. Bref, cela implique des actes et des paroles « performatives », du type de celles que l’on prononce pour se marier : quand vouloir, c’est faire.
LE TEMPS DE L’INTRANQUILLITÉ
Car si infiniment plus nombreux sont les musulmans qui veulent pratiquer leur religion tranquillement, cela ne suffit pas à empêcher les assassins de mener leur œuvre de mort. Le temps n’est plus à la tranquillité mais à l’intranquillité : les terroristes qui se réclament de l’islam visent tous ceux qui ne sont pas conformes à leur idéal religieux : femmes, homosexuels, juifs, chrétiens, apostats, laïcs… et musulmans pacifiques.
« Pas en notre nom » disaient certaines pancartes brandies par des musulmans après les attentats
de janvier 2015. Injonction que les musulmans, qu’ils se disent croyants, observants, laïcs, athées, ex-musulmans (donc apostats aux yeux du Coran), ou simplement des hommes et des femmes
de culture musulmane, comme d’autres s’avouent de culture chrétienne ou juive, travaillent à rendre toujours plus actuelle, à leurs risques et périls. Car le risque de mort est très réel, et ce sont des hommes et des femmes qui ont d’abord le courage de dire ce que les autres n’osent pas faire, par conformisme, par peur, par confusion, par haine des juifs, des femmes, des homosexuels, de la démocratie, de la liberté d’expression et de la laïcité.
Nous voudrions dire ici qu’ils sont plus nombreux qu’on ne veut bien souvent le croire : c’est telle- ment plus facile, pour l’extrême droite comme pour les islamistes, de faire croire à l’existence « des musulmans », ennemis de l’intérieur avec lesquels on ne saurait vivre. Pourtant ils s’appellent Boualem Sansal, Mohamed Sifaoui, Zineb El Razaoui, Sophia Aram, Sami El Soudi, Ahmed Méligy, Ahmed Abd El Samad, Kamel Daoud, Karim Akouche, Waleed Al Husseini, Farid Abdelkrim, Wassyla Tamzali, Abdennour Bidar, Latifa Ibn Ziaten, Lucy Aharish, Nadia Remadna,Chahla Chafiq12…
UN COURAGE EXEMPLAIRE
Autrement dit, la question qu’on doit se poser à la Licra n’est pas « que faire ? » mais plutôt « comment faire ? ». Car ce qui est à faire est simple : protéger, accompagner, soutenir tous ces hommes et femmes, nos alliés, qui se battent intellectuellement, moralement, comme journalistes, artistes et militants d’associations démocratiques, contre le totalitarisme islamique. Ils ont le courage de s’élever contre les crimes commis au nom de l’islam, la dénonciation de la laïcité, la réhabilitation du crime de blasphème, la minorisation des femmes, le mépris de la démocratie et des droits de l’homme…
Ce n’est pas là salir l’islam : c’est au contraire aider toux ceux qui ont peur !
Mano Siri
1 : Correspondant palestinien de la MENA (MEtula News Agency)
2 : Militant égyptien pour la paix entre Israël et le monde arabe
3 :Universitaire égyptien résidant en Allemagne auteur d’un livre intitulé La chute du monde islamique
4 : Auteur d’un article intitulé « Lettre ouverte à un soldat d’Allah : arrête de m’appeler Frère »
5 : Jeune intellectuel palestinien, fondateur du Conseil des ex-Musulmans
6 : Ancien cadre des Frères musulmans, humoriste et auteur de Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste
7 : Avocate algérienne, auteure de Une femme en colère : Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Ed. Gallimard
8 : Philosophe
9 : Fondatrice de l’association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et la Paix, membre du Comité d’honneur de la Licra
10 : Arabe israélienne, journaliste à la télévision
11 : Fondatrice de la Brigade des mères
12 : ecrivaine d’origine iranienne
Ce texte a pour but d’alimenter les débats du 48e Congrès de la Licra, sur le thème : “En quoi l’émergence d’un antisémitisme affiché est-il un enjeu essentiel pour le mouvement antiraciste ?”
Infos et inscriptions : https://www.licra.org/inscrivez-vous-au-congres-de-la-licra-12-et-13-mars-2016/