Octobre 2015. 70ème minute du match de football opposant l’ES Trinité (Lyon 8ème) et l’AS Denicé (Beaujolais). Après l’exclusion d’un joueur, des insultes racistes fusent. Le match est interrompu sans jamais reprendre. La situation dégénère en pugilat et deux dirigeants du club du Beaujolais sont roués de coups au sol, l’un deux ayant subi 15 jours d’incapacité totale de travail.
Comme souvent, le football est un miroir des fractures et des tensions sociales. Cet incident est emblématique d’une situation courante : deux clubs issus d’horizons différents – l’un rural, l’autre des « quartiers » – ignorent tout de la réalité de l’autre et ne se rencontrent jamais. De là naissent des stéréotypes, des préjugés, souvent préludes à l’expression publique de la haine et de la violence. Pourtant, le football est un des derniers lieux qui permet justement de rencontrer autre chose que ses semblables et de s’ouvrir à la réalité des autres, en dehors de tout enfermement social, communautaire ou territorial.
Face à cette situation, la LICRA a proposé à la Fédération Française de Football (F.F.F.) d’aller plus loin que les sanctions prévues par les textes disciplinaires et d’expérimenter une nouvelle approche. La banalisation du racisme, qui conduit très rapidement de la violence des mots à la violence des gestes, appelle des réponses spécifiques et adaptées. Sanctionner est nécessaire. Mais construire est indispensable. C’est dans ce cadre que, pour la première fois en France, est né un projet totalement novateur, fruit du partenariat étroit entre la LICRA, le district du Rhône de la F.F.F. et la Fondation du Camp des Milles consistant à faire suivre aux deux équipes de Dénicé et de Lyon une journée de sensibilisation aux risques majeurs que représentent les paroles et les actes racistes.
Samedi 23 avril, accompagnés par Patrick Kahn et Nathalie Rosell de la LICRA, de Pascal Parent, président du district du Rhône de la F.F.F., 10 joueurs de chaque équipe se sont rendus ensemble au Camp des Milles à Aix-en-Provence. Seul grand camp français d’internement et de déportation (1939-1942) encore intact et accessible au public, le site-mémorial du Camp des Milles est devenu, pour reprendre les mots de son Président Alain Chouraqui, « un musée unique au monde pour comprendre l’Histoire et agir au présent contre les intolérances », en s’appuyant sur une approche interdisciplinaire et intergénocidaire inédite sur un lieu de mémoire. Dans la visite comme dans un atelier dédié, l’équipe pédagogique du musée a ainsi travaillé à montrer à ces 20 joueurs qu’aucune parole, qu’aucun geste raciste ou antisémite n’est anodin. Il s’agissait de leur faire comprendre comment les extrémismes, le racisme et l’antisémitisme ont un potentiel explosif et contagieux et peuvent mener à la division, à l’affrontement et parfois à des processus criminels par la combinaison de facteurs individuels, collectifs et institutionnels. Des paroles, des gestes sont souvent les premières étapes d’une escalade vertigineuse, d’un engrenage très dangereux mais face auquel le Mémorial insiste sur les possibilités de résistances, chacun à sa manière, par ce qui est appelé des “Actes justes ».
Sur la base de cette expérience, la LICRA, déjà présente dans les instances disciplinaires de football statuant sur des faits ayant une dimension raciste ou antisémite, souhaite proposer aux fédérations sportives que l’arsenal des sanctions traditionnellement prévues en pareils cas s’élargisse à des mesures pédagogiques de ce type. Parmi les 20 joueurs présents samedi au Camp des Milles, tous franchissaient pour la première fois les portes d’un lieu de mémoire ou d’un musée. Au sortir de cette journée, certains déclaraient vouloir y revenir avec leurs enfants. Sanctionner est indispensable et assez simple. Construire des changements de comportements à partir d’une sanction est évidemment plus difficile mais autrement plus utile au bien public et à la fraternité.