« Lutte à mort pour sauver nos libertés »
La LICA, depuis sa fondation en 1927, a alerté l’opinion face à la montée du nazisme. Au printemps 1940, elle doit faire face, pour reprendre Lion Feuchtwanger, au « Diable en France ». L’invasion allemande lancée le 10 mai 1940 foudroie l’armée française. Le 8 juin, le Droit de Vivre paraît avec, sur trois colonnes, « Lutte à mort pour sauver nos libertés ». Plus aucun numéro ne paraîtra avant la Libération. Le 12 juin, Paris est déclarée ville ouverte et les nazis entrent dans Paris deux jours plus tard. Les premières opérations menées dans Paris par les troupes d’Occupation sont guidées par leur obsession « judéo-maçonnique ».
Un commando, placé sous l’autorité de Knochen et conduit par Eberhard von Künsberg est chargé par von Ribbentrop « de mettre en sécurité et d’étudier les archives et documents officiels étrangers découverts lors de l’offensive allemande à l’ouest ». Entre le 14 et le 24 juin, le domicile de Bernard Lecache, les locaux de la LICA situés rue de Paradis, ceux de la Ligue des Droits de l’Homme rue Jean Dolent, ceux du Grand Orient de France rue Cadet, de la Grande Loge de France rue Puteaux sont pillés et leurs archives saisies. Bernard Lecache avait prévu cette éventualité et, dès le mois de mai, avait confié à Paul Rudetzki le soin de mettre à l’abri le fichier des adhérents et des abonnés au Droit de Vivre. Entreposées aux Sables d’Olonne dans le garage de Georges Stolz, réfugié tchèque responsable de la Fédération syndicale internationale. Après une perquisition liée à la nationalité étrangère de ce dernier, les valises contenant les fichiers de la LICA sont confisquées. Au début de l’été 1940, l’essentiel des archives de la Ligue sont passées dans des mains ennemies. Le 7 juillet, Bernard Lecache arrive en Algérie où il devient correspondant de l’Echo d’Alger. La loi du 13 août 1940 portant “interdiction des associations secrètes” embrasse bien au-delà des loges maçonniques visées par les dispositions du texte et entraîne de fait la dissolution de la LICA.
Marianne, 26 août 1940
Depuis l’Algérie, Bernard Lecache prend la plume le 26 août 1940 dans le journal de gauche Marianne de Lucien Vogel. Dans un éditorial – en partie censuré – intitulé « Rien n’est fini », Bernard Lecache dresse un état lucide d’une situation où la nuée porte l’orage qui vient :
« La France n’est pas un pays comme les autres. La notion nationaliste n’est pas née de l’idée raciale. La qualité de Français est de libre choix. (…) Aucun Etat n’était, en septembre 1939, susceptible de rallier à sa défense autant d’éléments hétérogènes que le nôtre. Le nombre des engagés volontaires étrangers, leur vaillance, leur esprit de sacrifice n’ont pas été suffisamment mis en relief par notre propagande. Tous ces Français de libre choix, tous ces étrangers d’âme et de cœur français, mériteraient que leur statut bénéficie d’un préjugé favorable et non, comme on pourrait le craindre, de mesures d’exception que la situation n’exige pas. Notre patrie peut envisager l’avenir avec sérénité si elle sait garder le sens de la justice et de l’équité. On ne cesse de répéter que le régime nouveau ne sera pas calqué sur des régimes voisins et l’on a raison de l’affirmer [Censuré]. Rien n’est fini pour la France dans la mesure où elle conservera ses vertus et ses principes d’équité et d’harmonie. Tout pour elle, risquerait d’être perdu si elle se laissait aller à hiérarchiser la nature.
Le sang qui a coulé sortait des pauvres corps de tous les fils de nation, et l’ibus ennemi, lui n’a pas fait de différence entre telle ou telle catégorie de combattants. Rien n’est fini pour la France si nous ne l’oublions pas ».
Le journal Marianne est interdit de parution. Bernard Lecache est assigné à résidence par Vichy à Theniet El Had, à 170 km au sud d’Alger, avant d’être interné en Oranie puis à Djelfa jusqu’en 1942. Libéré en décembre 1942, il reprend ses activités de journaliste militant en fondant les Cahiers Antiracistes.
Focus : 40, rue de Paradis, le 9 avril 1941
Vidés de leurs archives par les troupes allemandes, les locaux de la LICA situés rue de Paradis sont mis sous scellés jusqu’en avril 1941. Les scellés levés, les bureaux de la Ligue font l’objet de convoitises au sein des mouvements collaborationnistes. Le Rassemblement Nationale Populaire (RNP) de Marcel Déat, adossé par le Mouvement social révolutionnaire (MSR) du cagoulard Eugène Deloncle entreprend dès le printemps 1941 des opérations de spoliations des biens juifs pour installer ses permanences locales et mettre la main sur des archives. Le 9 avril, les nervis du MSR-RNP arrivent rue de Paris où la concierge « manifeste sa joie de voir des Français occuper ces lieux à la place des Juifs ». Toutefois, le rapport fait à cette occasion montre que « les archives, classeurs et fiches n’existaient plus. Et les coffres ont été éventrés ». Les archives de la LICA, confisquées un an plus tôt, prendront la route de Berlin avant d’être saisies par les troupes soviétiques lors de leur arrivée dans la capitale allemande en 1945. Rapatriées en France début 2000, elles ont été déposées par la LICRA au Mémorial de la Shoah à Paris.