Vendredi 5 mai 2017 à l’Université de Rennes 2, Houria Bouteldja a finalement pu tenir sa conférence malgré l’interdiction prononcée par la Présidence de l’université en dépit des mises en garde rendues publiques par la LICRA et Gilles Clavreul, Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Le service Communication de l’Université nous a indiqué que la direction de l’établissement n’a pas souhaité aller plus loin dans la contrainte pour faire respecter la décision qui avait été prise de prohiber cet événement. Rien n’a donc pu éviter, pour cette fois, l’expression du PIR.
Depuis plusieurs semaines, à grands renforts de publicité sur les réseaux sociaux, la venue d’Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, était annoncée par le Collectif de « doctorants, jeunes chercheurs et précaires » Doctarène qui était à l’initiative de cet événement. L’objet de cette rencontre était la promotion de son opus indigeste intitulé « Les Blancs, les Juifs et Nous » dans lequel elle défend des thèses des thèses différentialistes, fondées sur le repli ethnique et identitaire. Retour sur la véritable idéologie des Indigènes de la République.
Une France en noir et blanc
Le ressort fondateur des « Indigènes » de la République est simple : le colonialisme. Les discriminations et le racisme qui touchent la société seraient le fait d’une cause unique : la continuation du régime de domination de l’Empire Français. Il règnerait en France un prétendu « Racisme d’Etat » qui s’emploierait à organiser le séparatisme. Comme si la France de 2016 avait conservé dans ses gènes l’esprit du Code Noir. Confinant à un manichéisme bien rôdé, l’association déploie à qui mieux mieux toutes les facettes de la rhétorique néocoloniale et saucissonne le pays en tranches ethniques.
D’un côté, « les blancs », rebaptisés « souchiens », nécessairement privilégiés, dominateurs et « philosémites », à la tête de l’appropriation des moyens du pouvoir politique économique et social, et héréditairement racistes.
De l’autre, les dominés, les noirs et les arabes, cantonnés à une place éternelle de victime de cet asservissement, « ensauvagés », et dont l’accession aux droits les plus élémentaires serait évidemment brimée, spoliée, empêchée le suprématisme blanc.
Et si on oppose que la Constitution de la Vème République n’a pas une virgule en commun avec les lois raciales de Vichy ou de l’Apartheid sud-africain, on vous répondra que c’est encore bien pire car l’universalisme « blanc » produirait du racisme impensé, sans qu’il n’en sût rien. Ce serait dans sa nature de contrôler au faciès, de discriminer à l’embauche, d’interdire l’accès à un logement. De faits de racisme bien réels, de cas de discriminations quotidiens, les « Indigènes de la République » extrapolent un système social très structuré et fondé sur la culpabilité d’un côté, la victimisation de l’autre.
Confusionisme à tous les étages
En réalité, l’exhumation ad nauseam de cette litière néocoloniale masque un conglomérat idéologique forgé par le confusionisme et des divagations conceptuelles qui démontrent que « les Indigènes de la République » poursuivent autre chose que la simple dénonciation du racisme.
D’un côté, il s’agit d’expliquer, pour Houria Bouteldjia que le racisme est « social ». Entendez que la société postcoloniale dans laquelle nous vivrions est une société impérialiste et nationaliste. Le prolétariat ayant disparu en tant que moteur politique de la lutte des classes, il importait donc d’en imaginer un autre, fondé sur des critères ethniques. Il importait d’unifier son sentiment d’humiliation en lui proposant une lecture politique de sa souffrance : terminer, par tous les moyens, une décolonisation prétendument inachevée et « permettre une radicalisation des mots d’ordres du mouvement social, parce que son opposition au capital devra aussi se traduire par une opposition à l’État. »
De l’autre, une irréfrénable fièvre identitaire. C’est à la mode. L’unité biologique du genre humain est reléguée au musée des antiquités universalistes et les émules du PIR applaudissent à l’organisation d’un camp d’été dit « décolonial » réservé « aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’Etat en contexte français ». Autrement dit, interdit aux blancs.
Houria Bouteldja et les Juifs
Houria Bouteldja nie toute forme d’antisémitisme. Elle est « antisioniste ». Commode abri pour cacher une obsession.
En 2012, dans un texte intitulé « Mohamed Merah et moi », elle peine pourtant à la masquer sous un flot de relativisme qui donne la nausée. Si elle évoque les crimes de Merah, c’est pour mieux transformer le bourreau en victime « post coloniale » à qui, comme elle « on a imposé une minute de silence pour les victimes du 11 septembre » alors que “l’école ne l’a jamais invité à se recueillir pour les Rwandais, les Afghans ou les Palestiniens ». Le « pauvre » aurait subi « l’incroyable campagne mediatico-politique islamophobe qui a suivi les attentats contre les deux tours ». Si Merah est un assassin terroriste, il faudrait selon elle relativiser : « des Juifs, jeunes comme lui, français comme lui, peuvent prendre l’avion pour Tel Aviv, enfiler l’uniforme israélien, participer à des exactions de l’armée la plus morale du monde selon les mots de BHL et revenir en France tranquille, peinard. ». Atroce comparaison qui rappelle la défense de rupture de Jacques Vergès, expliquant que la France n’avait aucune légitimité à juger Barbie en raisons des crimes qu’elle avait commis durant la guerre d’Algérie.
En mars 2015, elle déclare à Oslo que les Juifs sont assimilés aux tirailleurs sénégalais accusés – par elle – d’avoir commis des atrocités contre les musulmans du Maroc durant la période coloniale. Pour elle, « les juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe ».
Dans son livre « Les Blancs, les Juifs et Nous », publié en 2016, le chapitre consacré aux Juifs par Houria Bouteldja répond à la même logique selon laquelle il faut à tout prix différencier, séparer, opposer, diviser, combattre. L’ironie peine à masquer les véritables sentiments qu’elle éprouve à l’égard des Juifs. Morceaux choisis :
« Mais qui est Hitler ? » C’est Boujemaa, mon cousin d’Algérie, qui parle. J’ai failli tomber de ma chaise. Mon cousin ne connait pas Hitler. Un âne. J’ai mis cette ignorance sur le compte du système éducatif algérien, forcément pourri comme sont réputés l’être ceux du bled. Pour moi, Hitler est un intime. Je l’ai rencontré sur les bancs de l’école républicaine. J’y ai rencontré aussi Anne Frank que j’ai beaucoup pleurée. Autant que j’ai pu abhorrer l’homme de la solution finale. L’homme du judéocide. L’école m’a bien dressée. Quand j’entendais l’expression « Arrête de manger en juif ! », je lançais des regards noirs de matons. L’âne c’était moi. Avec Boujemaa, j’ai compris quelque chose. Pour le Sud, la Shoah est – si j’ose dire – moins qu’un détail. Elle n’est même pas dans le rétroviseur. Cette histoire n’est pas la mienne en vérité et je la tiendrai à distance tant que l’histoire et la vie des damnés de la terre resteront elles aussi un « détail ». C’est pourquoi je vous le dis en regardant droit dans les yeux : je n’irai pas à Auschwitz. »
En juin 2016, les masques sont définitivement tombés lorsque Houria Bouteldja a apporté son soutien à Aya Ramadan, militante du PIR, après un tweet qui faisait l’apologie de terroristes qui venaient de tuer à une terrasse des habitants de Tel Aviv. Pour cette dernière, les terroristes sont des résistants et des martyrs de la cause palestienne. Hourai Bouteldja crie sur Facebook « Force et solidarité avec Aya ».
Les Indigènes de la République combattent l’universalisme de nos valeurs héritées de la Révolution française. Le fait que leur porte-parole puisse instrumentaliser les locaux d’une université publique au service de son idéologie en dit long sur la démission collective qui semble s’être emparée d’une partie du pays face à ceux qui défient chaque jour l’esprit des Lumières. Il y a quelques semaines, on apprenait la censure d’une pièce de Charb sur l’islamophobie dans une université française. Un mois plus tard, Houria Bouteldja, qui dès 2011 accusait Charlie Hebdo d’être un journal « islamophobe”, utilise l’université comme tribune. C’est un double échec pour la République et pour l’Université française.